Un siècle d’or
Historien, Georges Bischoff nous invite Dans le ventre de l’Alsace avec un essai érudit, passionnant et drôle explorant l’âge d’or de la gastronomie régionale, entre 1470 et 1620.
Pourquoi avoir choisi cette période ?
L’imaginaire gastronomique de l’Alsace se réclame d’un âge d’or dont les grands monuments sont la Maison Kammerzell, le Buerehiesel ou la Maison des Têtes. Ces lieux chargés d’histoire sont les contemporains de Rabelais et de son adaptateur alsacien Johannes Fischart. Ils font écho à des centaines de banquets gravés par les artistes de la Renaissance, et à l’irruption des livres de cuisine imprimés.
Comment se caractérise cet “âge d’or de la gastronomie alsacienne” ?
La période qui s’étend de la fin du XVe siècle à la veille de la Guerre de Trente ans invoque l’opulence et la curiosité. Elle voit l’apparition d’un nouvel art de vivre valorisant les goûts et les saveurs en déculpabilisant la gourmandise : c’est la naissance de la convivialité bourgeoise. À cela, des moyens nouveaux, outillage, mobilier, vaisselle, des produits inédits, et une mise en scène des repas. Ces nouveautés ne se limitent pas aux sphères les plus riches, mais ruissellent à travers la société
Les récoltes ne sont-elles pas trop aléatoires pour que la cuisine se développe de manière harmonieuse ? Contrairement aux idées reçues, les habitants des villes et des campagnes mangent à leur faim. Il y a, certes, des années difficiles, mais pas pour tout le monde et elles sont plutôt rares. L’alimentation ne se réduit pas aux approvisionnements les plus proches. En Alsace, on mange du bœuf de Hongrie, des poissons de la Mer du nord, du riz d’Italie. Les fromages de Hollande, de Suisse et le parmesan cohabitent avec le munster et les productions locales, et l’exotisme est plus familier qu’on ne le pense : on trouve des agrumes, des fruits secs (figues, raisins), des dattes et des olives. Légumes et fruits sont très présents : Westhoffen est déjà renommé pour ses cerises.
Quels nouveaux produits arrivent dans une région carrefour ?
La variété des produits disponibles tient évidemment à la situation géographique. La région est d’autant plus ouverte aux nouveautés qu’elle est une pépinière de savants et de techniciens : les botanistes font pousser des piments, des topinambours et des pommes de terre à la fin du XVIe siècle. Le premier repas de patates a lieu à Châtenois en janvier 1625.
Des plats emblématiques de la région naissent-il à l’époque ?
La généalogie de la cuisine de terroir est difficile à suivre, mais on sait que le mot knack apparaît à cette époque, et que la choucroute fait partie des plats incontournables pendant la saison froide. Les potées du type beckeoffa sont omniprésentes. Le kougelhopf apparaît avec les moules en terre cuite vernissée en forme de volcan, qui répartissent bien la chaleur et sont faciles à démouler, à la fin de la Renaissance.
Quel serait votre plat préféré à l’époque ?
Probablement des pâtés ou des volailles à la broche, avec des accompagnements de fruits.
Georges Bischoff aurait dû être présent à la 31e édition du Festival du livre de Colmar, qui est annulé, avec pour thème “Futurez-vous” et pour invité d’honneur Gilles Legardinier festivaldulivre.colmar.fr
Paru à La Nuée bleue (25 €) nueebleue.com
Légendes
1. Cuisinier au travail dans un recueil de recettes paru en 1530 chez l’imprimeur strasbourgeois Christian Egenolph, collection particulière
2. Les vertus diurétiques ou laxatives des fruits illustrées dans une version du Kreutterbuch de Jérôme Bock, collection particulière