Un été en Provence

Photo d'Anne-Emmanuelle Thion

Au cœur du Luberon, Édouard Loubet imagine une cuisine aux odeurs, aux saveurs et aux couleurs de Provence. Visite dans la maison d’un artiste, à Bonnieux.

La nouvelle a pris le monde de la gastronomie de court : fin août, Édouard Loubet annonçait qu’il allait vendre ses maisons provençales au groupe Les Hôtels d’en Haut1 « après trente ans entre Luberon et Savoie et deux années de réflexion ». Il ne reste donc plus qu’un tout petit mois, jusqu’au 30 septembre précisément, pour découvrir sa cuisine au Domaine de Capelongue de Bonnieux, même si la continuité est assurée, puisque son second de 28 ans, Noël Berard reprend les commandes d’un restaurant estampillé deux Étoiles au Guide Michelin.

Portrait d’Edouard Loubet par Morgan Palun

Alpin
Quant à Édouard Loubet, ce n’est pas la crise de la cinquantaine, ni celle de la Covid-19 qui l’a poussé à prendre telle décision, pas plus que l’envie de raccrocher son tablier, mais le désir de se rapprocher de sa famille. Il s’agit de reprendre « la route de la montagne pour de nouvelles aventures », de retourner aux origines alpines, là où tout a commencé avec son oncle, sa grand-mère et son grand- père Yvon, à qui il rend hommage dans un menu. Son enfance ? « Pêche, chasse, nature, jardin… Initiation par des “fines gueules” confectionnant de bons pâtés, de bons saucissons. ». Jeune, il écrit à tous les chefs triplement étoilés de l’Hexagone : « Le premier à me répondre a été Alain Chapel. Avec lui, ce fut le déclic de l’amour de la cuisine. Il ne criait jamais, mais avec un mot pouvait faire très mal. » Son autre père spirituel se nomme Marc Veyrat, « issu du monde paysan de la montagne, comme moi. Ce fut le déclic de la folie : on ne sait pas où on va, mais on le fait, et on le fait bien. Il criait tout le temps, on ne savait pas si ça faisait mal, mais on avait un peu peur quand même », s’amuse- t-il. Avec ces deux figures tutélaires, on comprend mieux la cuisine servie à Capelongue : d’un côté, la sérénité réflexive et la fluidité toute en délicatesse du pionnier de Mionnay, un des papes de la Nouvelle Cuisine, de l’autre la folie instinctive, exubérante et brindezingue du génie de Manigod. À son compte à 22 ans, Édouard Loubet a été le plus jeune étoilé de France en son temps, au Moulin de Lourmarin, gagnant un second Macaron qu’il ne quittera plus, en 1999, mais voyant inexplicablement le troisième se refuser, alors que le Gault & Millau en a fait un de ses chouchous depuis des lustres. Les voies du Guide rouge sont décidément impénétrables… Ce n’est sans doute pas son ami Olivier Nasti2, avec qui il aime chasser, qui nous contredira.


Provençal
« Je suis un cuisinier provençal, mais qui ne fait pas une cuisine provençale. Elle a les goûts, les odeurs et les couleurs de la région », résume-t-il. Illustration avec une mise en bouche intitulée Toute la Provence en une cuillère, véritable explosion de fragrances des garrigues exprimant le credo d’un chef qui recherche « une attaque agressive, s’atténuant en mangeant ». À rebours de nombreux plats appelant un mouvement inverse pour un “effet wahou”, ce decrescendo est une invite à aller vers la subtilité pour imaginer en douceur un “après” à ce qu’on vient de déguster. Du « Pantone d’odeurs qu’il a dans [s]a tête », Édouard Loubet tire des associations parfois étonnantes puisées dans un terrain de jeu s’étendant du massif du Luberon au Mont Ventoux. Un des premiers à se passionner pour la cueillette, il laisse l’inspiration le prendre dans ses jardins : « Si je trouve des pousses de cèdre sous un arbre, ce n’était pas prévu. En les mangeant, un ardent goût de pignon de pin arrive, mais aussi une saveur de pommes vertes acidulées. C’est quelque chose que je cherchais depuis longtemps. Cela m’évoque une envie iodée très puissante et le désir de les accommoder avec une langoustine fumée… » Ainsi naissent les plats, entre hasard, instinct et années de réflexion et de sédimentation. En témoignent de solaires réussites à l’image d’un rouget de roche floral où les fragrances doucettement amères de la cataire questionnent la vapeur d’hysope qui entoure langoureusement une brassée de petits violets dialoguant en mode majeur avec une aérienne béarnaise d’artichauts. Et que dire de la perfection chirurgicale d’un carré d’agneau fumé au serpolet des Claparèdes3 sur un lit de thym ? Voilà mariage d’amour d’une absolue évidence dont, pourtant, les séductions violentes demeurent nimbées d’un voile de mystère, à l’image des vers de René Char, natif de L’Isle- sur-la-Sorgue, à quelques encablures de là. Sept parcelles de Luberon : « C’était près. / En pays heureux. Élevant sa plainte au délice, / Je frottai le trait de ses hanches / Contre les ergots de tes branches, / Romarin, lande butinée. »


Le Restaurant Édouard Loubet est situé au Domaine de Capelongue, Chemin des Cabanes (Bonnieux, dans le Vaucluse). Fermé mercredi et, le midi, lundi, mardi et jeudi. Menus de 160 à 230 €.
capelongue.com

1 L’Alpaga à Megève, Les Roches rouges de Saint-Raphaël, Le Fitz Roy à Val Thorens, etc –
leshotelsdenhaut.com
2 Voir Poly n°210 ou sur poly.fr
3 Plateau vauclusien se déployant entre Castellet et Bonnieux

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