Point d’orgue du Festival Arsmondo 2020 dédié à l’Inde, la création mondiale d’Until the Lions fait écho au Mahabharata. Rencontre avec Thierry Pécou, compositeur de cet opéra.
Au départ d’Until the Lions se trouve un texte épique et poétique de Karthika Naïr (2015). Librettiste de l’opéra, elle s’empare du Mahabharata, réécrivant l’épopée fondatrice de l’hindouisme vue par le regard de personnages périphériques, majoritairement des femmes. Ainsi Satyavati (incarnée par une comédienne sur scène), princesse déclassée car abandonnée toute petite et élevée par un pêcheur, narre-t-elle l’histoire. Ce n’est pas son mariage avec un roi qui change quelque chose. Bafouée par le système politique, elle doit lutter pour sa légitimité et celle de ses enfants, dont elle cherche à assurer la place sur le trône. Son regard et sa destinée se croisent avec celle d’Amba : duels, jeunes filles enlevées, mariages arrangés, amours secrètes, humiliations, colère incandescente, réincarnation et vengeance… Si l’action est foisonnante, l’histoire est intemporelle, faite de jeux de pouvoir et de relations amoureuses. Rien de nouveau sous le soleil depuis l’aube des temps.
Monde
Il semblait éminemment naturel qu’un compositeur comme Thierry Pécou1 s’empare de cette épopée. Chine ancienne, Grèce antique, Tibet éternel, Amérique précolombienne, immense et mystérieuse Amazonie… Son œuvre se nourrit de cultures éloignées dans l’espace et le temps, de ce “Tout-monde” d’Édouard Glissant désignant « notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la “vision” que nous en avons ». Le compositeur aux racines antillaises a fait sienne cette définition du poète martiniquais, cherchant sans cesse à « dire le monde, c’est-à-dire à mieux connaître ses musiques pour les retraduire avec les éléments de mon langage et les instruments de l’orchestre traditionnel. » Et de compléter : « Je me considère comme un témoin de mon temps, de ce que Glissant appelle la “mondialité”, cette capacité à écrire et composer en présence de toutes les influences possibles, à se laisser traverser par elles et à en faire son miel. C’est un enrichissement qui s’oppose à la mondialisation qui n’est qu’appauvrissement et uniformisation. »
Inde
Pour mettre en musique ces Échos du Mahabharata, où « s’efface la voix du patriarcat au profit de celle des éternelles dominées », Thierry Pécou s’est tourné vers « les musiques indiennes et plus généralement celles de toute l’Asie du Sud-Est. Je pense par exemple aux sonorités des gamelans indonésiens2 », résume-t-il. Mais point de pastiche ou d’exotisme ici : ces références sont « souterraines. Je retiens ainsi la sinuosité et la vitalité des lignes mélodiques des ragas 3 ou les modèles rigoureux, quasi géométriques d’organisation des orchestres de gongs. L’aspect rythmique de la pièce est ainsi dérivé des jeux numériques à l’œuvre dans les rythmiques indiennes. » Avec un orchestre traditionnel augmenté d’une guitare électrique (« en référence aux hard rock, histoire d’accentuer la teinte sombre, dure, de la partition »), le compositeur nous emporte dans une épopée universelle.
Printemps indien
Au fil des rendez-vous du pluridisciplinaire Festival Arsmondo de l’Opéra national du Rhin (01/03-08/04) de nombreuses facettes de la culture indienne seront à découvrir comme un hommage en cinq films à Satyajit Ray (Odyssée Strasbourg, 02/03-06/04). Au nombre des multiples lectures, citons celle d’extraits de Siddhartha de Hermann Hesse par Hanna Schygulla qui fut l’égérie de Fassbinder (09/03, Opéra, Strasbourg) ou celle de fragments du Dieu des petits riens d’Arundhati Roy par Valeria Bruni Tedeschi (16/03, Opéra, Strasbourg). Au menu également, l’exposition House of Love (01/03-08/04, Mamcs) présentant des clichés de nuit, entre réalité et fiction, signés Dayanita Singh ou un concert montrant comment l’Inde était vue par des compositeurs français comme Delibes, Bizet ou Massenet (17/03, Théâtre municipal, Colmar & 21/03, Opéra, Strasbourg).
À l’Opéra (Strasbourg), du 21 au 27 mars
À La Filature (Mulhouse) dimanche 5 et mardi 7 avril
operanationaldurhin.eu
Rencontre avec l’équipe artistique à la BNU (Strasbourg), 20/03 (18h30)
bnu.fr
Deux œuvres de Thierry Pécou, Manoa et Chö, un rituel tibétain qu’il interprète au piano seront données par Accroche Note (12/03, Opéra, Strasbourg)
L’Orchestre symphonique de Mulhouse honore Thierry Pécou avec une œuvre pour trompette et orchestre, Soleil rouge (03 & 04/04, Église Saint-Étienne, Mulhouse), tandis que des musiciens de l’OSM interprètent son quatuor à cordes Fuga del son (29/03, La Filature, Mulhouse)
1 Lire La Musique du tout-monde dans Poly n°157 ou sur poly.fr
2 Des orchestres où prédominent les instruments de percussion en bronze
3 Mode musical dans la musique indienne caractérisé par une structure déterminée, des ornements et un motif mélodique spécifiques et correspondant à un climat émotionnel