La petite voix silencieuse
À l’heure où Strasbourg accueille le premier Forum mondial de la démocratie, nous nous sommes intéressés à la lutte non-violente menée par Ekta Parishad, fédération de 380 organisations (ashrams) indiennes, et son leader Rajagopal qui organisent la Jan Satyagraha, Marche pour la Justice de 100 000 personnes sur 350 km, en faveur des paysans sans terre.
« L’invitation d’un représentant de notre organisation nous est parvenue dans l’été, de manière orale. Depuis, nous sommes sans confirmation officielle », lâche, embêtée, Marie Bohner, coordonatrice Europe du Forum de l’Unité (signification littérale d’Ekta Parishad). Le symbole était de taille pour la Ville de Strasbourg, Capitale européenne et siège de nombre d’institutions (Parlement, Cour européenne des Droits de l’Homme et Conseil de l’Europe), qui accueille en partenariat avec le Conseil de l’Europe le premier Forum mondial de la démocratie, du 5 au 11 octobre. « Avec les marches que nous organisons sur les cinq continents [1. Une marche franco-allemande reliant Offenburg à Strasbourg, en soutien au mouvement indien d’Ekta Parishad, se tiendra dimanche 7 octobre à l’initiative des collectifs Hunger und Armut et Pas et Repas (arrivée symbolique devant la statue de Gandhi offerte par l’Inde et installée dans le parc de l’Étoile) – www.pasetrepas.worpress.com] (à Genève, Conakry, Cotonou, Bethléem ou encore au Brésil) en soutien aux paysans participants à la Jan Satyagraha, nous entendons porter sur la place publique un problème international : celui de l’accaparement des terres par les états et les grandes entreprises au dépend des plus démunis. D’autant que le thème du Forum mondial – La démocratie à l’épreuve, entre modèles anciens et réalités nouvelles – colle parfaitement au mouvement social s’organisant depuis plusieurs années en Inde où le système des castes, pourtant abolies, et les différentes régions fédérales coupent les populations tribales de leurs milieux naturels traditionnels au profit d’une exploitation industrielle, beaucoup plus rentable, des ressources qui s’y trouvent. Le monde ancien et l’évolution de la société se percutent de plein fouet. »
Ahimsa, non-violence
S’inscrivant dans la droite lignée de l’enseignement et de l’action de Gandhi, le leader charismatique d’Ekta Parishad, Rajagopal, lance la plus grande marche non-violente jamais organisée en faveur de l’accès à la terre et aux ressources naturelles le 2 octobre – journée internationale de la non-violence et jour anniversaire de la naissance du Mahatma (1869-1948). 100 000 paysans sans terre et autres marginalisés, adivasi (populations autochtones) et dalits (intouchables), partiront de Gwalior pour une marche d’un mois (et quelque 350 km) sur l’autoroute indienne, qui les mènera jusque devant le Parlement à New Dehli, pour réclamer leurs droits. Une démonstration de force et de discipline – imaginez 100 000 paysans marchant en file indienne, à un mètre de distance durant un mois – fruit d’une trentaine d’années de militantisme et de pédagogie à l’échelon local, mené par Ekta Parishad. La projection du documentaire Ahimsa, la force de la non-violence (le 6 octobre au Star) offre un regard saisissant sur l’action du collectif et de ses bénévoles auprès des villageois. Rajagopal éduque et forme les plus pauvres à éliminer leur peur des gardes forestiers, des soldats, des autorités… et des gens bien habillés ! Car l’Inde des campagnes (80% du territoire) est bien loin de celle des grandes mégalopoles modernes. Chacun y est encouragé à prendre son destin en main et faire valoir son droit à l’eau, la terre et la justice. Œuvrer à petite échelle, collectivement, en construisant des puits ou en développant des techniques agricoles, et réfléchir sur les moyens susceptibles de contrebalancer les décisions iniques des autorités provinciales qui ont conduit, ces dix dernières années, à chasser 15 millions de petits paysans de leurs terres ancestrales pour s’emparer des ressources naturelles. Cette lutte contre la pauvreté, la mendicité, la prostitution et l’exploitation s’effectue sur un mode pacifiste forçant le respect. « La violence coupe les têtes », assène Rajagopal, « tandis que la non-violence transforme la tête et les mentalités. »
Penser global, agir local
À son échelle, c’est l’ensemble du modèle économique dominant qu’il remet en cause. Celui-là même qui augmente les disparités Nord-Sud et qui n’a, en rien, résolu les problèmes de famine ou de malnutrition en Inde et dans le monde. L’échec de l’agriculture de masse et de la constitution d’énormes exploitations agricoles. Loin d’en appeler au retour de l’État providence, Rajagopal milite pour une gouvernance locale responsabilisant les populations concernées qui ferait suite à une réforme agraire rendant des terres à ceux qui en ont été spoliés. Des populations qui, bien souvent, vivaient dans le respect des écosystèmes et de la biodiversité entourant leurs lieux de vie, se contentant de cultures vivrières. La Jan Satyagraha entend bien faire de cette question un thème central des élections législatives de 2014…
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