Danses macabres
À Bâle, se croisent les radicalités de Jean Tinguely et Tadeusz Kantor, à travers une de ses créations emblématiques, Où sont les neiges d’antan.
Pour la quatrième fois, le Musée Tinguely fait dialoguer une œuvre contemporaine avec la Mengele-Totentanz (1986), pièce tardive du plasticien helvète faite de 14 parties à laquelle une salle particulière est dédiée. “Sculptures machines” réalisées avec des objets récupérés après un incendie dans une ferme située à proximité de son atelier, elle doit son nom au maître-autel figurant au centre, une ensileuse à maïs de la marque Mengele, entreprise qui appartenait à la famille du sinistre médecin nazi. Autour d’elle se déploie un ballet anxiogène fait de fragments de métal ou de bois noircis à peine identifiables, dont les ombres projetées sur les murs créent un sentiment d’angoisse aussi prégnant que les grincements qui s’échappent des œuvres lorsqu’elles se mettent en mouvement. La rencontre de l’artiste suisse avec Kantor – qui eut lieu au début des années 1960 – est naturelle dans la mesure où nous sommes en présence de deux pionniers de la performance et du happening.
Dans la pièce attenante, c’est une autre danse macabre qui est présentée avec Où sont les neiges d’antan, titre emprunté à La Ballade des dames du temps jadis de François Villon par Tadeusz Kantor en 1979. Nous découvrons objets et costumes (dans une scénographie élégante), affiches, dessins et croquis, mais également une projection du film d’une répétition (réalisée en 1984 par Andrzej Sapija la veille de la première polonaise au club étudiant Stodoła de Varsovie) documentant avec précision cette action scénique, ou cricotage. Un terme forgé par le plasticien (dérivant du nom de son théâtre) pour désigner ce type de performance dans lesquelles « les personnages, les situations, les actions ne sont pas des symboles », mais plutôt « les charges, les cartouches, qui peuvent produire un court-circuit », écrivait une des figures qui a fait voler en éclats les canons du théâtre au XXe siècle. Autour d’une Trompette du jugement dernier – instrument “tinguelyesque” avec ses roues dentées, manivelles et autres sangles – s’ébattent les personnages du shtetl dont la vie quotidienne est ici narrée, dans une étrange chorégraphie. Rabbins vêtus de noir, cardinaux habillés de rouge et citoyens aux costumes d’un blanc sale semblent alors annoncer la catastrophe – dont on voit les débris fantasmagoriques dans la salle d’à coté – sur fond de tango diabolique et d’Our Town is burning, hymne du ghetto écrit par Mordechai Gebirtig en 1936, après un pogrom dans le village polonais de Przytyk.
Au Musée Tinguely (Bâle), jusqu’au 5 janvier 2020
tinguely.ch
Légende
Vue de l’installation Où sont les neiges d’antan, photo de Nicolas Lieber / Musée Tinguely 2019 © Centre for the Documentation of the Art of Tadeusz Kantor CRICOTEKA, Maria Kantor & Dorota Krakowska / Tadeusz Kantor Foundation