Rituel d’ombres et lumière

Avec Bhima, Guignol et le démon, le Musée des Cultures de Bâle traverse l’art du théâtre de marionnettes de l’Europe à l’Asie.

Des centaines de marionnettes à tiges, à gaine et à fils peuplent le quatrième étage de l’institution bâloise dédiée aux Arts premiers. Toutes appartiennent à des traditions ancestrales de représentation théâtralisée du monde dont les personnages principaux, caricaturaux à souhait, sont souvent des gens de condition modeste (serviteurs, bouffons, fous…) et peu instruits. Ils font preuve d’une grande sagesse face aux puissants qu’ils croisent et apostrophent en se moquant avec agilité, rudesse et humour bravache. Rôdent aussi, tout autour, scélérats et démons de tout poil, rappelant à l’auditoire, selon les cultures et les pays, que les marionnettes représentent le monde d’ici-bas tandis que leurs silhouettes projetées symbolisent le surnaturel. Ainsi en va-t-il à Java dans le wayang, spectacle d’ombres en forme de rituel reliant les humains à l’univers. Les représentations ont alors pour but de rétablir l’équilibre cosmique à chaque crise sociale.

Démon du wayang kulit

Ne soyez pas étonnés par l’authentique version moderne du genre, tradition revisitée version hip-hop, collant aux questions actuelles en Indonésie : bouffons et serviteurs du théâtre d’ombres y prennent les traits d’un rappeur et de ses fils (un bad boy, un breakeur et un skateur), rejoints par une effigie de Lady Gaga y tenant un rôle ! Si les personnages de Guignol et son équivalent allemand Kasper – avec chapeau pointu et gros nez – nous sont familières, le Bhima indien, héros de l’épopée guerrière et familiale du Mahābhārata, comme Sun Wukong, fripon rebelle tiré de Se Yu (un des grands romans classiques de la Chine du XVIe siècle) offrent de belles découvertes. S’y retrouvent la même délicatesse expressive et le souci du détail des marionnettes à tiges javanaises faites de bois, de peau d’animaux, de textile, de bambou et de perles de verre. D’autres ajoutent fibres végétales, métal, voire cheveux et poils pour conférer des attributs encore plus menaçants et magiques aux dieux hindouistes hyper colorés ou à ceux du royaume des cieux chinois comme aux démons portant cornes et hybridations chimériques bestiales. Avec beaucoup d’élégance, certains personnages à tiges venus de Chine ont le visage évidé, dessiné au trait comme une ligne claire.

Garuda-Jetayu dans le wayang kulit

Loin d’être un cimetière pour pantins inanimés, l’exposition offre deux espaces de jeu avec castelet et rideau devant un parterre de sièges mais aussi une toile éclairée pour s’essayer au théâtre d’ombres avec de véritables personnages. Peut-être leur redonnerez-vous l’irrévérence et leurs manières sans gêne, caractères qui ont laissés place, avec le temps, à des desseins plus éducatifs pour les enfants.


Au Musée des Cultures (Bâle), jusqu’au 2 août 2020
mkb.ch

vous pourriez aussi aimer