Le Musée Würth consacre une importante rétrospective à José de Guimarães qui « puise à la réalité du rêve » dans les cultures africaines, mexicaines ou chinoises.
« Nomade transculturel » : voilà comment le mythique critique Pierre Restany qualifiait l’artiste portugais. Si les tableaux ouvrant cette exposition sont encore empreints de Pop Art ou de Nouveau Réalisme (La Vache qui rit où irradie le jovial ruminant), ces références volent en éclats en 1967 alors que José de Guimarães (né en 1939) effectue son service militaire en Angola1 : « Un choc. Une révélation. Je n’ai pas compris au début, alors j’ai voulu entrer au plus profond de la culture africaine », explique-t-il. Rencontrant une tribu dans la province du Cabinda, il est fasciné par le mode de communication de ses membres, un « système idéographique utilisant des objets et ses signes gravés permettant de raconter une histoire. » De là naît son Alphabet africain, ensemble de 132 signes – évoquant aussi les symboles du Disque de Phaistos – exposé ici pour la première fois dans son intégralité. Ces panneaux de bois peint constituent la grammaire fondatrice de son art, une « base. Africaine à l’origine, elle s’est enrichie de pictogrammes nouveaux, évoluant vers d’autres alphabets, mexicains ou chinois. »
Le visiteur découvre les riches possibilités de la combinaison de ces formes dans un par- cours regroupant essentiellement tableaux et sculptures issus de la Collection Würth2. Au rez-de-chaussée, elles entrent en résonance avec les pièces africaines de l’imposant ensemble d’Art premiers3 réuni par un plasticien qui est aussi anthropologue : masque zoomorphe bamiléké, sculpture anthropomorphe dogon, éléments de reliquaire fang, etc. Se déploient aussi Joconde noire, une Mona Lisa revisitée ou des Fétiches faits de formes ondoyantes évoquant Arp, œuvres syncrétiques irriguées par la pulsation du continent noir, mais profondément ancrées dans la terre européenne. Le voyage se poursuit à l’étage avec les séries Hong Kong – inspirée « des visions des moines que relate un poème chinois de la Dynastie Tang » – et México où se croisent papiers découpés des rites funéraires en usage dans le pays et têtes de mort fantomatiques. On demeure scotchés devant Le Rituel du Serpent rappelant l’histoire narrée par l’ethnologue Aby Warburg, tandis que le parcours se conclut joliment avec une relecture de la Madone de Darmstadt d’Holbein le Jeune4: en six toiles José de Guimarães déconstruit et reconstruit le chef-d’œuvre du XVIe siècle, l’installant dans son univers aux contours fantastiques.
Au Musée Würth (Erstein), jusqu’au 15 mars 2020 (entrée libre)
musee-wurth.fr
- Un cycle scientifique “Ethnographie et Collections” accompagne l’exposition avec notamment la projection du film d’Alain Resnais et Chris Marker Les Statues meurent aussi (13/10) et une conférence “Faut- il restituer l’art africain ?” (20/10)
1 Devenu indépendant en 1975, l’Angola est alors une colonie portugaise
2 Elle renferme environ 300 œuvres de José de Guimarães
3 Elle rassemble des pièces africaines, précolombiennes et chinoises
4 Il a été acquis par Reinhold Würth en 2011 pour plus de 50 millions d’euros et depuis est exposé dans l’Église des Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem de Schwäbisch Hall