Cette année (et la prochaine), la scène sur le Lac de Constance des Bregenzer Festspiele accueille un Rigoletto de Verdi brillamment transposé dans un cadre circassien. Compte-rendu.
Le soleil se couche lentement sur la scène flottant sur le lac. Les 7 000 spectateurs prennent place dans une arène rendue mondialement célèbre par un opus de James Bond, Quantum of Solace. Cette année, c’est au cinéaste allemand Philipp Stölzl – qui a déjà une belle carrière opératique derrière lui avec notamment le classique diptyque Cavalleria rusticana / Pagliacci aux Osterfestspiele Salzburg, en 2015 – qu’a été confiée la mise en scène. Au menu donc Rigoletto… et une gageure : adapter aux dimensions impressionnantes de la scène un sombre drame, plus intimiste que spectaculaire. Pari réussi, disons le d’emblée avec une production pleine de surprises, d’inventions et de complexes machineries servies par la technologie la plus pointue qui nous entraînent dans l’univers du cirque. Tout débute par une parade burlesque, avant que Borsa ne jaillisse d’une trappe placée au sommet de la gigantesque tête de clown située au centre du dispositif pour demander aux spectateurs d’éteindre leur téléphone portable et de le… balancer dans le lac ! Émergent aussi de l’eau les deux mains de la créature – métaphore du bouffon Rigoletto et de sa tragique destinée, puisqu’il perdra ses yeux, ses dents, puis son nez pour se transformer en crâne décharné –, la gauche tenant une montgolfière.
Placés sous la baguette dynamique et efficace de Daniele Squeo, les Wiener Symphoniker lancent les hostilités : grâce aux 800 haut-parleurs du BOA (Bregenz Open Acoustics), le public est enveloppé par le son, spatialisé de belle manière, saisissant les nuances d’un orchestre en pleine forme en cette fin d’été, appréciant la performance de chanteurs… qui sont aussi des acteurs et des équilibristes hors pair : Gilda, par exemple, se joue du vertige, chantant dans un ballon s’envolant dans le ciel, à cheval sur le bastingage de la nacelle à une vingtaine de mètres de haut… Et pourtant, la performance vocale de Stacey Alleaume n’en est pas le moins du monde altérée ! Il en va de même de tous ses compères du soir, soumis eux aussi, à des exigences acrobatiques : mention spéciale à Scott Hendricks dans le rôle-titre, verdien accompli – qu’on retrouvera à l’Opéra national du Rhin dans le rôle d’Il Conte di Luna dans Il Trovatore, en juin prochain – et à Pavel Valuzhin, duc de Mantoue tout-terrain… Autour d’eux les membres du Wired Arerial Theatre bondissent sautent, grimpent, plongent dans l’eau qu’on imagine froide, jonglent… Dans cette joyeuse troupe de circassiens, entre le lanceur de couteaux et Mr. Muscle se trouve une bande de singes, auxiliaires du duc, dont le jeu est parfait, des femmes aux multiples seins qui agitent leur tétons frénétiquement pendant le plus célèbre des airs de l’opéra, La Donna è mobile… Malgré nos préventions initiales, on se laisse facilement aller à cette transposition circassienne à (très) grand spectacle, populaire au plus noble sens qu’on peut donner à cet adjectif. Rendez-vous à partir du 24 juillet 2020 pour ceux qui ont manqué ce Rigoletto puisque les productions sur le lac des Bregenzer Festspiele sont données deux années durant.