L’écume des jours
Le photographe Elger Esser gomme les frontières entre ciel et terre, paysage et architecture, grâce à un long temps de pause. Entretien à l’occasion de Morgenland réunissant des clichés pris en Orient.
Qu’avez-vous retenu du rigoureux enseignement de Bernd et Hilla Becher à la Kunstakadémie de Düsseldorf ?
Bernd et Hilla disaient souvent : « L’art est un travail quotidien. » Ils n’ont jamais parlé du fait d’être artiste, ils évoquaient seulement le « travail », dans un sens positif. En observant de près leurs vingt années à l’Académie, on remarque que les étudiants ont évolué de manière très variée et hétérogène. Ils étaient fermes, mais très généreux.
Vos photographies sont extrêmement “picturales”, comme les toiles de Gerhard Richter sont “photographiques”…
J’ai grandi à Rome où la Renaissance et le Baroque faisaient partie de mon quotidien, tout comme la photo. Je ne suis pas peintre, mais me passionne pour la relation qu’entretiennent les différents médiums. J’essaie, grâce à mon approche, d’analyser cette altérité née dès l’invention de la photographie par Nicéphore Niépce en 1827.
La série Morgenland montre un Orient apaisé, plongé dans une douce harmonie…
Je cherche à donner de l’Orient une image différente de celle qu’on nous présente habituellement, évoquant nos racines communes et notre patrimoine culturel. Je me refuse cependant à faire des discours politiques : je préfère livrer un nouveau point de vue, en demeurant dans l’attitude du poète explorant entre les lignes, à un méta-niveau.
Peut-on situer Morgenland et son camaïeu de couleurs sable quelque part entre l’orientalisme d’Ingres et le pré- impressionnisme de Turner ?
J’aime Ingres, mais mes images ne sont pas du tout influencées par lui, non ! Je me base davantage sur les descriptions littéraires de Gustave Flaubert ou de Maxime du Camp. Je me sens très proche de Turner… beaucoup plus que de Richter d’ailleurs. William Turner est allé aux frontières de la peinture : c’est ce que j’essaye de faire avec la photographie. Sinon, j’adore les pré-impressionnistes français comme Courbet, Corot, Daubigny, Millet, Boudin, Delpy et bien évidemment le jeune Monet.
Vedute ou paysages, la ligne d’horizon est très présente dans vos images…
L’horizon représente la fin, mais aussi le début d’une aventure à venir. Nous essayons toujours de nous approcher de notre propre horizon, mais dès que nous avons le sentiment de le rattraper, il en existe un nouveau, généralement plus éloigné encore… La mer est une menace et un défi. L’eau, le symbole du voyage et de la découverte de nouveaux territoires, géographiques et humains. J’attends sans cesse qu’Aphrodite naisse de l’écume d’une vague…
À la Fondation Fernet Branca (Saint-Louis), jusqu’au 29 septembre
fondationfernet-branca.org
Parallèlement à Morgenland, la Fondation propose deux autres expositions : Estampes d’amitié. De Picasso à Sabartés et Gregory Forstner. Get in, get out. No Fucking around