Ebullition des sens
Temps fort dijonnais, le festival dédié à la jeune création Théâtre en Mai, propose une quinzaine de pièces dont deux créations, sous le parrainage de Stéphane Braunschweig.
Comme un symbole. Pour sa 30e édition, Théâtre en Mai prend pour parrain l’actuel directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Celui qui y présentait en 1990 l’une de ses premières pièces, Tambours dans la nuit. De Brecht à Molière, il n’y a qu’un pas, et c’est sa dernière création, L’École des femmes1, brûlot pourfendant la domination masculine qu’il donnera au Parvis Saint-Jean (23-26/05). Il y croisera une de ses anciennes élèves du temps où il dirigeait le Théâtre national de Strasbourg : Maëlle Poésy déjà venue trois fois au festival depuis 2011 – notamment avec l’excellent Ceux qui errent ne se trompent pas en 2016 – crée Sous d’autres cieux (Parvis Saint-Jean, 31/05-02/06)2. Avec son compère dramaturge et auteur Kevin Keiss, lui aussi passé par l’École du TNS, l’artiste associée du Théâtre Dijon Bourgogne signe une fiction sur le sort des apatrides d’après L’Énéide, épopée de Virgile narrant la migration d’un vaincu cherchant à déjouer le destin en trouvant une terre de paix. Passé et futur s’entremêlent dans le présent du récit d’Énée. Les troubles somatiques et psychiques de l’exil, sans cesse revécus, donnent corps à une chorégraphie puissante dans un funeste décor de feu, d’eau et de terre. Kévin Keiss est doublement présent à Dijon puisqu’il signe aussi la traduction et l’adaptation du roman de James Baldwin, Just above my head, pour Élise Vigier. Connues du grand public depuis le documentaire de Raoul Peck I am Not Your Negro, la langue et la verve de cet intellectuel et homosexuel afro-américain ayant lutté contre la ségrégation raciale et sexuelle, resplendit dans Harlem Quartet (Au Cèdre, 28-30/05). Sur fond de musique acoustique et du slam de Saul Williams, les images actuelles d’Harlem se mêlent aux années 1970 et à celles d’avant la Guerre de Corée. Les portraits croisés de frères, d’amours libres, de drogue et de révolte passant aussi par l’art dans une langue à l’érotisme pulsionnel. Autre règlement de comptes avec la société, celui de Céline Champinot qui revient avec La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable3 (Salle Jacques Fornier, 24 & 25/05), création 2018 du festival. Cinq jeunes scouts d’Europe, dont la culture religieuse se mêle à l’amour des films de science-fiction et de télé-réalité poubelle, se retrouvent sur le terrain de jeu multisports du quartier pour apostropher le Créateur. En ligne de mire, le désordre consécutif à l’ordre donné de coloniser une planète entière (la nôtre), d’en soumettre les êtres vivants (hommes, femmes, animaux, plantes…) et de faire de notre sainte reproduction une obsession. Un monde gorgé d’intelligence artificielle et d’hybridations sorties du torturé et parano Philip K. Dick, qui ne verra pas forcément d’un très bon oeil l’accueil de ces réfugiés trop humains.
Dans divers lieux culturels (Dijon), du 23 mai au 2 juin
1 Lire Poly n°219
2 Pour ceux qui la manquerait, la pièce fait aussi partie de la programmation du In du festival d’Avignon, au Cloître des Carmes du 6 au 14 juillet – festival-avignon.com
3 Lire Théâtrographie d’une planète habitable dans Poly n°209