Souffler est jouer

Photo de Christophe Raynaud De Lage

Dans Sopro, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues signe une ode à la vie et au théâtre, aux mystères du futur et à ce souf e vital qui nous tient vent debout.

Les fidèles du Maillon l’ont découvert il y a une poignée d’années avec António e Cleópatra1. Avant de le retrouver avec tg STAN dans The Way She Dies2, le directeur du Théâtre national de Lisbonne rend hommage dans Sopro à Cristina Vidal, l’une des dernières souffleuses. Plus d’un quart de siècle d’activité. Un métier pourtant voué à disparaître, que Tiago Rodrigues choisit de sublimer. Le temps d’un spectacle, Cristina sera en scène, dans un décor de théâtre en ruine, entouré de voiles blancs. La lumière irradiant depuis le sol et les herbes folles émergeant des trous d’un vieux plancher renforcent l’impression fantomatique de son apparition bien avant l’arrivée des spectateurs. Tout de noir vêtue, elle les épie du regard, scrute la salle, arpente son domaine avec son chronomètre et son livret en main. Gardienne de l’héritage du théâtre, chantre de la partition des mots, compagne de plateau, âme errant au milieu du jeu, la voilà distribuant les rôles, convoquant les uns et les autres pour les placer. Mais toujours dans le murmure auquel elle a dédié sa vie professionnelle et artistique. Celle qui se plait à être habituellement invisible et surtout jamais félicitée – ce qui signifie qu’elle n’aura pas eu à “aider” un acteur en panne de mémoire – se trouve au cœur de Sopro. Pas question pour autant de prendre réellement la lumière. À mi-chemin entre son personnage et sa fonction, elle erre au milieu des comédiens qui jouent le rôle de Tiago Rodrigues et le sien. Jusqu’à l’exquise scène finale, elle ne s’adressera pas directement à la salle, susurrant son texte à l’oreille de ceux qu’elle a toujours choyé du regard.

Photo de Christophe Raynaud De Lage

Cadavre exquis théâtral
Si la pièce évoque subtilement les traces laissées dans les théâtres par les œuvres qui s’y donnent autant que la fabrique d’une mémoire collective souvent ignorée, le metteur en scène offre surtout un incroyable cadavre exquis théâtral : sont rejouées pour nous les répliques oubliées durant toute la carrière de notre souffleuse, allant des Trois Sœurs à L’Avare, en passant par Antigone ou Bérénice. Un peu plus de 18 minutes disparues dans l’oubli, livrées entre anecdotes et réflexions sur les liens unissant, à la vie à la mort, l’art et la vie : la beauté de l’éphémère, la force du souvenir et des traces, les menaces planant sur ces lieux à la fois hors du temps et totalement du notre.


Au Centre dramatique national de Besançon (co-réalisé avec Les 2 Scènes), du 5 au 8 mars (en portugais surtitré en français)

cdn-besancon.fr
les2scenes.fr

Au Théâtre de Montbéliard, samedi 16 mars (en portugais surtitré en français)
magranit.org

1 Lire Notre âme d’amants dans Poly n°199 ou sur poly.fr

2 Il signe le texte de la nouvelle pièce du célèbre collectif auprès duquel il s’est lui-même formé, alors qu’il était étudiant, en 1997. À voir au Maillon (Strasbourg), du 20 au 22 mars maillon.eu

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