Second volet d’une expérimentation XXL, Open Codes II revisite notre monde comme un immense champ de data. Le ZKM invite à une découverte historique, ludique et participative de la digitalisation.
Depuis septembre dernier, les immenses espaces de l’Atrium du Centre d’art et de technologie des médias de
Karlsruhe – ancienne manufacture de munitions – sont dévolus à ce que Peter Weibel, directeur de l’institution depuis 1999, qualifie de « concept faisant du musée une assemblée du XXIe siècle. » Open Codes II est une exposition qui n’en est pas une. Plusieurs milliers de mètres carrés décloisonnés dans lesquels se mêlent plus de 200 œuvres et des espaces de co-working pour curieux ou communautés cherchant à partager et transmettre en open source des expériences et un savoir digital. Il y a un côté GAFA1 où tout est ludique (table de ping-pong, baby-foot) et en libre accès (entrée gratuite, Wi-Fi haut débit, mais aussi boissons chaudes ou fruits que l’on trouve un peu partout). À faire regretter de ne pas habiter Karlsruhe et de ne pouvoir faire du ZKM
son nouveau lieu préféré pour travailler. Quel café ou studio peut rivaliser avec les canapés Alcove Highback des frères Ronan et Erwan Bouroullec2, isolant ceux qui s’y lovent du reste du monde ? Une chose est sûre : l’utopie d’une institution muséale « capable de se réinventer – avec les citoyens – en tant que site de connaissance et d’autonomisation responsable, afin de retrouver un accès à la réalité à l’aide des instruments de la pensée » se matérialise.
Bousculer les codes
Si les cimaises, cartels et notices n’ont pas disparu, le ZKM met en pratique de nouvelles manières de présenter et de tisser des liens entre des œuvres aux médiums disparates, disséminées dans l’espace en utilisant des hashtags. Huit familles sont ainsi proposées (#Encoding, #VirtualReality, #Genealo- gyOfCode…), associées à une couleur et fonctionnent avec autant de plans regroupés en vues dynamiques. Il n’y a donc plus de sens imposé, le visiteur pouvant se laisser aller à l’instinct comme découvrir les liens entre les œuvres en suivant une thématique précise. La brochure classique est complétée par une application (EXPERIENCE_ZKM, développée il y a quelques mois) aux nombreux contenus allant de cartes pour se retrouver dans l’immensité des lieux, œuvres interactives, mais aussi audio-guides (uniquement en allemand pour l’instant). Un espace de lecture devant une bibliothèque permet même aux plus assidus de découvrir tous les ouvrages historiques et théoriques ayant servi à la genèse d’Open Codes II. Sur les murs entourant les sofas s’inscrit l’intégralité du code 3D de la pièce.
Les lignes qui nous régissent
Derrière cet emballage plein de promesses, se dévoile un florilège de créations nécessitant, comme bien souvent au ZKM, une belle disponibilité pour en approcher les diverses dimensions. On conseillera plusieurs venues pour, par exemple, regarder comme il se doit The Trial of Superdebthunterbot, installation vidéo de 45 minutes de l’anglaise Helen Knowles orchestrant la reconstitution du procès fictif d’un algorithme. D’éthique et de fiction, il est aussi question dans Ethical Autonomous Vehicles de Matthieu Cherubini qui invente une pluralité de scenarii pour algorithmes de véhicules intelligents. L’Intelligence Artificielle (IA) d’une voiture se retrouve face à un choix de collisions entre un piéton, un mur, un arbre en travers de la route et un panneau publicitaire. Elle doit décider selon un choix humaniste (sécurité optimale pour chacun), protectionniste (la sécurité du chauffeur et des passagers d’abord) ou basée sur l’économie (les dommages les moins coûteux pour son assureur). Le tout tenant aussi compte de l’évaluation de l’âge et de la renommée des victimes potentielles (un enfant vaut moins que Donald Trump, menacé ici de se faire écraser). Le décryptage des événements de chaque possibilité réserve son lot de questions (et de non-sens !) liées aux valeurs dont les créateurs pourvoiront les futurs IA des véhicules dont on nous promet, fallacieusement, qu’ils seront plus sûrs. Mention spéciale à l’humour d’un artiste facétieux, James Bridle qui, en traçant un cercle de sable autour d’un véhicule autonome, l’a condamné à une immuable immobilité (Autonomous Trap 001). Un exemple de hacking comme on les aime.
YOU : R : CODE
Les expériences de réalité virtuelle demeurent comme toujours fort inégales, surtout lorsqu’un brin de poésie ou d’imaginaire en est absent. Ainsi le chandelier – clignotant et bien réel – de Cerith Wyn Evans (Astrophotography), transcription lumineuse du morse, nous parlera bien plus qu’un alignement de cubes en 3D dans un espace de lignes où se diriger joystick en main. Fascinante est la Learnmatrix imaginée en 1969 par Karl Steinbuch, préfiguration des IA actuelles comme Closed Loop, installation de Jake Elwes dans laquelle une IA décrit par des mots une image à une autre essayant d’en faire un dessin, avant que la première ne décrive à son tour l’image produite. Dans cette boucle infinie où les textes et images des deux IA devraient se rapprocher de plus en plus, le fiasco est tel qu’on se rend compte à quel point la créativité n’est pas codage facile. Produire une représentation d’une description peut être bien plus humain qu’on ne le pense. Ne partez pas de l’exposition sans votre Manifest asimovien. Le robotlab, d’après une idée de Peter Weibel himself, fait écrire à un bras articulé industriel Kuka, son propre manifeste pro-machine à partir d’une matière de milliers de manifestes et de lois existantes. Vous ressortirez en repassant devant YOU : R : CODE. Sept manières de vous représenter : depuis un simple miroir jusqu’aux codes les plus modernes possibles (3D, codes barres, génétique…) avec détections visuelles de votre âge, genre et taille. Vous avez dit digitalisation ?
Au ZKM (Karlsruhe), jusqu’au 7 avril
zkm.de
1 Acronyme désignant les géants du Web : Google, Apple, Facebook et Amazon
2 Lire Poly n°144 ou sur poly.fr