Une femme allemande

Photo de Sophie Dupressoir pour Poly

Dans son dernier roman, Bernhard Schlink arpente d’éclatante manière l’Histoire allemande, de Bismarck à la RFA, à travers la destinée d’Olga.

Pour son seul déplacement en France hors Paris, Bernhard Schlink faisait le plein à la Librairie Kléber de Strasbourg, mi-janvier. Juste avant son entrée dans l’arène attentive de la Salle blanche, l’auteur du Liseur – adapté au cinéma par Stephen Daldry avec Kate Winslet, qui obtint l’Oscar pour sa prestation en 2009 – nous a accordé un instant suspendu, autour d’un chocolat chaud. Vêtu d’un germanique Loden vert jeté par-dessus un costume strict rappelant le juriste qu’il fut, l’écrivain tourne les pages de l’histoire singulière qui irrigue son nouveau livre, celle d’un amour entre des « êtres que tout oppose. Chacun a ce qui manque à l’autre. La fantaisie expansive d’Herbert possède un charme lumineux pour Olga, dont le bon sens a quelque chose de profondément attrayant pour un homme qui ne rêve que de voyages. » Avec un style limpide, cet immense conteur narre la destinée des deux personnages dans un roman en trois parties, une « progression qui mène au plus près d’Olga » débutant par une « histoire d’amour vue de l’extérieure dans une perspective objective, se poursuivant par une vision subjective où elle raconte sa vie à un jeune homme pour se conclure par la lecture des lettres adressées par l’héroïne » à son homme, longtemps après sa disparition à “Poste restante, Tromsø, Norvège”.

Avec cette femme incarnant la délité absolue et l’amour de sa vie – reflétant « une génération dont l’aspiration à la grandeur possède un aspect profondément nihiliste. Il va se perdre dans le rien des déserts de sable
de Sud-Ouest africain et de glace, où il va disparaître » – le lecteur arpente les années avec Bismarck pour point de départ. « Il a mis l’Allemagne sur un cheval bien trop grand pour elle », regrette l’écrivain qui évoque les rêves meurtriers du pays, ceux de l’empire colonial au début du XXe siècle et de l’espace vital, pendant le Troisième Reich. Sensible et délicat, le texte éclaire aussi la condition féminine : « Mon personnage appartient à une génération que j’ai connue à travers mes grands-mères ou mes tantes. Ces femmes auraient aimé étudier, devenir médecins ou avocats, mais elles ont été obligées de demeurer en deçà de leurs capacités, tandis que beaucoup d’hommes vivaient au-delà des leurs ! » Olga résiste cependant. Éperdument libre, elle ne sacrifie rien et réussit à être institutrice, un succès alors pour une jeune fille pauvre, luttant contre toutes les oppressions. Ce n’est pas un hasard si elle devient sourde en 1936, « elle qui aimait tant la musique, ne supportait plus d’entendre les ots de propagande jaillissant des haut-parleurs et noyant les rues ».


Paru chez Gallimard (19 €)
gallimard.fr

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