Dernière danse
Seul en scène avec ses marionnettes, masques et objets, Alexandre Haslé vient de créer Le Dictateur et le dictaphone. Un huis clos entre folie et pas de deux avec sa conscience.
La cave un peu cradingue, pleine de meubles vieillots, a des airs du Underground d’Emir Kusturica. Ce huis
clos, né sous la plume de l’australien Daniel Keene, trouve ses origines dans un roman de Romain Gary, La Danse de Gengis Cohn, dans lequel un ancien nazi passé entre les mailles du filet est hanté chaque nuit par un comique juif qu’il a assassiné pendant la guerre. Dans ses rêves, il lui apprend le yiddish jusqu’à le rendre fou. Tel était le matériau de départ donné à l’auteur qui inventa « cet homme enfermé dans un intérieur, sorte de loque humaine dont on ne sait pas très bien si elle ressasse des souvenirs, acculé au suicide par ses fantômes, ou perd pied, inexorablement », assure Alexandre Haslé. Celui qui crée lui-même accessoires, demi masques et marionnettes, s’est inspiré « de tous les grands dictateurs du XXe siècle. S’ils ont une part de folie assez importante, Hitler est le boss. C’était véritablement un grand malade mais le nouveau président brésilien, Bolsonaro, n’est pas mal non plus : dans son programme il dit quand même vouloir proposer aux pauvres de les stériliser contre rétribution ! » Ses marionnettes, confectionnées par un assemblage de matières (papier maché, bois, tissus, mannequin de couture…) chinées dans les vide-greniers, permettent de montrer les choses avec « une distance que le réalisme rendrait obscène : ce vieux militaire pose un piège à souris et attrape… un cadavre ! Le public peut être touché sans être brusqué, à la manière des films de Jeunet et Caro. » Confronter des personnages à une réalité qui leur échappe est une constante des pièces du metteur en scène qui travailla successivement sur Kafka, Elephant Man ou La Pluie dans laquelle une vieille femme était déjà enfermée dans ses souvenirs. Pour Le Dictateur et le dictaphone, soliloque d’une petite vingtaine de pages, il importe « surtout de faire en sorte que le public ne se prenne pas trop d’empathie pour ce monstre aux airs de petit vieux perdant la boule. De ne pas le rendre trop drôle : son cache-cache avec sa conscience est un miroir avec la réalité. On comprend que sous ses airs civilisés et grotesque, ce petit intérieur s’écroule lentement et que les spectres qui l’entourent lui rendent la monnaie de sa pièce. » L’enfer intérieur se profile jusqu’à un dialogue, les yeux dans les yeux, avec la mort.
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy), du 4 au 7 décembre
theatre-manufacture.fr