Jazz en chantier
Jazzdor est de retour pour la 33e fois, explorant les multiples arcanes du genre. Passage en revue de quelques rendez-vous essentiels de la quinzaine.
Temps fort de la saison jazzistique dans le Grand Est, Jazzdor est très attendu. Chaque année, on se demande quelles seront les perles de la prochaine édition. Louis Sclavis viendra-t-il proposer une nouvelle création ? Pas cette fois ! Michel Portal, alors ? Invité en quintet (15/11, Reithalle) il se produit avec le tromboniste Nils Wogram, le pianiste Bojan Z, le contrebassiste Bruno Chevillon et le batteur Lander Gyselinck… et même si on ne l’a pas encore entendu dans cette formation, on peut en attendre le meilleur ! On appelle cela la confiance. Philippe Ochem n’a jamais manqué d’en témoigner, aux plus installés comme aux étoiles montantes. Au sein de ces espèces en constante voie de renouvellement, le directeur artistique de la seule SMAC (Scène de Musiques Actuelles) dédiée au jazz en France choisit des artistes qu’il n’abandonne plus.
Fidélités
Daniel Erdmann (10/11, Cité de la Musique et de la Danse) n’en est pas à sa première participation. L’année dernière, par exemple, il avait été invité à émouvoir le public avec son projet Velvet Revolution. Pour cette nouvelle édition, il réactivera un groupe qui l’occupe depuis longtemps : Das Kapital. L’Allemand installé à Reims revisite dans l’un des albums de ce trio les chansons de Hanns Eisler à qui il avait rendu hommage en lui consacrant un disque enregistré en 2016 avec le Royal Symphonic Wind Orchestra. En invitant plus de 60 musiciens de l’Orchestre d’harmonie du Conservatoire de Strasbourg les rejoindre dans cette aventure populaire, Jazzdor offre une précieuse occasion de découvrir la force narrative de cette musique dans toute sa splendeur ! Cap à l’Ouest avec les États-Unis de John Scofield (09/11, Cité de la Musique et de la Danse). Les trois derniers albums du guitariste témoignent de son attachement viscéral à la terre de sa patrie. Pour ce maître couronné de Grammy Awards et ayant fait ses armes avec rien de moins que Miles Davis au début des années 1980 en plein règne du jazzfunk, l’americana et la country n’ont pas de secret. Les très talentueux et respectés Gérald Clayton (pianiste), Vicente Archer (contrebasse) et Bill Stewart (batterie) brilleront à coup sûr lors de la soirée d’ouverture du festival sur le répertoire du dernier road trip américain de leur cowboy de leader ! Le voyage se fera en première classe. Pour sa 33e édition, le festival s’est offert deux autres quartets prestigieux d’Américains, mais dont les leaders se sont installés en France il y a bien longtemps : Archie Shepp (23/11, La Briqueterie) et David Murray (20/11, MAC Bischwiller), deux saxophonistes. Le premier est très certainement le représentant le plus légitime, par l’histoire et le vécu d’un peuple et par la musique, de la tradition américaine du jazz que la France ait à ce jour. On peut gloser, rappeler qu’il a joué avec John Coltrane dans les sixties et continué de dérouler une liste impressionnante de légendes, les notes seules en disent assez. Si la soul et le blues ont toujours irrigué sa musique, c’est que le saxophoniste avait un supplément d’âme à faire vibrer : l’histoire d’un peuple. Le temps passe, pas la puissance de son geste. Issu d’une autre génération, David Murray, a choisi, comme son aîné, de combattre et d’exprimer par sa musique la condition du peuple afro américain. Avec son Infinity quartet, le saxophoniste a sorti Blues For Memo en début d’année. Il s’y associe avec le poète et slammeur Saul Williams dont l’inspiration principale provient de l’intellectuel et activiste noir Amiri Baraka*.
Expérimentations
Il y a au plus profond de l’ADN de Jazzdor, des aventures sonores osées, domptées par des musiciens tous terrains, où des guides en territoires obscurs et dissonants affichent plus que jamais leurs divergences avec la conception de la musique comme entertainment. Les solos du guitariste Alain Blesing (17/11, Médiathèque Olympe de Gouges) et du contrebassiste Claude Tchamitchian (18/11, CEAAC) disent cet engagement artistique nourrissant et toujours rafraîchissant. Toute la carrière du grand guitariste Marc Ducret (21/11, Fossé des Treize), présent en quintet cette année, également. Ultime plaisir de ces narrations qui jouent avec les convenances, un trio de femmes qui a de la gueule : le Tiger trio (13/11, Fossé desTreize) réunit la flûtiste Nicole Michell (ancienne présidente de l’AACM de Chicago, l’institution free jazz probablement la plus reconnue dans le monde), la contrebassiste Joëlle Léandre et la pianiste Myra Melford. Des mastodontes des musiques improvisées ! Le spectacle est garanti, sans que l’on sache les formes qu’il prendra !
À la Cité de la Musique et de la Danse, au CEAAC, au Fossé des Treize, etc. (Strasbourg), au Musée Würth (Erstein), à la MAC (Bischwiller), à la Reithalle (Offenbourg), à la Briqueterie (Schiltigheim) et à la Maison des Arts (Lingolsheim), du 9 au 23 novembre
* Voir Poly n°143 ou sur poly.fr