Eye of the tiger
Nagasawa Rosetsu œuvrait D’un Pinceau impétueux : le Museum Rietberg fait découvrir la virtuosité de cet artiste japonais du XVIIIe siècle.
Moins connu que son contemporain Hokusai (1760-1849), Nagasawa Rosetsu (1754-1799) est célèbre au Japon pour avoir peint en une seule nuit de 1786 – la légende est tenace – les panneaux coulissants du Temple Muryōji de Kushimoto reconstitué à Zurich pour que le visiteur puisse saisir les rapports existants entre la structure architecturale et le répertoire iconographique. Sortant pour la première fois de l’archipel, ses 48 panneaux peints ne sont exposés que deux mois pour d’évidentes raisons de conservation. Stars parmi les stars, deux immenses créatures symbolisent les forces primitives de la Nature : souple et vif, un tigre progresse sur ses pattes de velours, bondissant avec élégance, tandis qu’un dragon vaguement mélancolique – et un brin wagnérien : quel beau Fafner il ferait ! – contemple le visiteur d’un air impavide et détaché. À côté de ce corpus mural, de nombreuses images – paravents, rouleaux suspendus (kakejiku) ou horizontaux (makimono), éventails, etc. – forment un riche parcours dans le japon d’avant l’ère Meiji.
Passant avec élégance et rapidité d’un style à l’autre, Rosetsu fut un des élèves de Maruyama Ōkyo (1733-1795), fondateur du shaseiga qu’on pourrait traduire par “peinture réaliste”. Reste qu’à l’image d’artistes comme Itō Jakuchū et Soga Shōhaku, il a toujours été considéré comme un “excentrique”, c’est-à- dire un franc-tireur n’appartenant à aucune école et développant un style éminemment personnel. Dans ses compositions alternent coups de pinceaux virtuoses et lignes im- pétueuses – tracées de ses doigts nus – ou diaphanes réalisés avec un fin pinceau. Elles sont de plus souvent marquées par l’humour : on découvre ainsi le légendaire exorciste Shōki s’apprêtant à combattre de son épée un diable qui a sans doute pris l’apparence d’un gigantesque crapaud, le contemplant cependant avec des yeux mouillés ! Au fil de l’exposition alternent paysages d’une intense délicatesse où les arbres à la puissante présence sont pourtant des silhouettes stylisées à l’extrême, presque abstraites, portrait plein de verve de Kanzan et Jittoku, deux moines amis incarnant les vertus du zen – connaissance et théorie – ou encore paisible vol de grues autour du Mont Fuji, curieusement représenté comme un pic qu’on pourrait croire planté dans l’Himalaya… Le regard se perd dans des œuvres qui sont autant d’univers cohérents et l’on craque littéralement pour un macaque japonais posé sur un éperon rocheux où poussent de rares fougères traitées comme des ombres. Semblant préparer un mauvais coup, la coquine bestiole se détache sur un fond doré donnant une étrange impression de relief.
Au Museum Rietberg (Zurich), jusqu’au 4 novembre
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