Le Grand Est plein Sud

Chili 1973 © Pascal Bodez / Région Grand Est

11 compagnies sont soutenues par la Région Grand Est dans le cadre du Festival Off d’Avignon cette année. Reportage dans la cité des Papes pour explorer ce Grand Zest de spectacles.

Parsemées d’affiches et parcourues en tout sens par des compagnies en quête de visibilité, les rues d’Avignon sont le miroir d’un Festival Off devenu hypertrophié. Illustration du capitalisme artistique le plus sauvage, l’événement rassemble aujourd’hui 1 538 propositions. Pas facile pour le spectateur de faire son choix dans ce maelström de spectacles. Encore moins facile pour les compagnies de faire leur trou et « taper dans l’œil des programmateurs. C’est pour cela que nous avons décidé d’accompagner onze d’entre-elles, sélectionnées par un comité d’experts », résume Pascal Mangin, à la tête de la Commission Culture de la Région Grand Est. Le programme ? Une aide financière mais également un véritable coaching – assuré par l’Agence culturelle du Grand Est – pour que la présence en Avignon soit une réussite. Et Jean Rottner, président de la Région, de renchérir : « Nous avons souhaité partir groupés, illustrant le rôle de la Région en tant qu’acteur culturel majeur du territoire. Cette année, nous nous retrouvons dans plusieurs salles dont l’épicentre est La Caserne des pompiers (qui accueille huit compagnies, NDLR), espace emblématique de l’action régionale. » Au menu, spectacles évidemment, mais également rencontres, débat (sur le thème “Réseaux / Filières : quelles concertations au service des projets artistiques transfrontaliers), conventionnement pour trois ans de trois nouvelles compagnies à hauteur de 50 000 € annuels (Théâtre en Scènes, Li(luo) et l’Ensemble Faenza) on encore expo imaginée par Pascal Bodez sur Mai 68 dans le Grand Est…

Romance © Pascal Bodez / Région Grand Est

Parmi la variété des propositions artistiques, nous avions adoré Chili 1973 (La Caserne, jusqu’au 23/07 à 19h15 ; voir l’article paru dans notre numéro de juillet / août) des Mosellans de L’SKBL, où Georges Best croise les Stones sur fond de “match de la honte” à Santiago. Mais à La Caserne la journée débute à 9h30 avec Loin et si proche (jusqu’au 23/07) des bien nommés Escargots Ailés. Venue de Châlons-en-Champagne, la compagnie d’André Mandarino – passé par le Centre National des Arts du Cirque qui y est installé – propose un spectacle pour le jeune public (dès 6 ans). Accompagné du musicien Karim Billon alias Ya-Ourt, il a imaginé un cirque aérien plein de poésie où les compositions samplées entrent en résonance avec des acrobaties d’autant plus réussies qu’elles se déploient dans un espace contraint. Variation onirique sur les objets perdus, ce spectacle virevoltant entraîne les spectateurs dans un imaginaire où l’irréel et, parfois, l’absurde, sont générés par des choses du quotidien : réveil, valise, chaussure, etc. Imaginaire toujours avec Romance (jusqu’au 23/07, à 11h, dès 3 ans), adapté de l’ouvrage éponyme de Blexbolex par les Lorrains de La Soupe compagnie où se mêlent marionnettes, pop-up, machineries, images projetées et découpées… À partir d’un imagier tout simple (l’école, la maison, la route, etc.) se déploie un récit rocambolesque de plus en plus complexe au fil des minutes – qui demeure toujours cohérent – où sont convoquées les figures tutélaires des contes de fées (la sorcière, les farfadets…) et des romans d’aventures (les brigands, par exemple).

Les Préjugés © Pascal Bodez / Région Grand Est

Parmi les autres spectacles présentés, mention spéciale la tendresse de Noir ou Blanc des Marnais de PapierThéâtre (Espace ALYA, jusqu’au 29/07, à 12h, à partir de 7 ans) qui traite de la mort avec une délicatesse infinie utilisant la technique du théâtre de papier et aux Préjugés des Vosgiens de Rêve Général ! (La Caserne des Pompiers, jusqu’au 23/07, à 17h15). Rassemblant Fake de Marilyn Mattei et Le Préjugé vaincu de Marivaux, ils proposent une belle variation sur l’amour faisant se rejoindre les préoccupations d’ados du XXIe siècle et celles des jeunes gens du XVIIIe. Portées par un génial quintette d’acteurs, ces deux courtes pièces créent d’étonnantes passerelles temporelles montrant que rien, finalement, n’a changé au royaume du sentiment, même si la Carte du Tendre s’arpente aujourd’hui avec Google Maps. Impossible de quitter la Cité des Papes sans avoir vu Go,go,go, said the bird (Human kind cannot bear very much the reality) – titre tiré de T.S. Eliot – chorégraphie de la Compagnie Li(luo) de Tomblaine (Théâtre des Hauts Plateaux, jusqu’au 19/07, à 22h45, à partir de 16 ans). Ils sont trois sur scène pour une chorégraphie sensuelle et sensorielle. Deux danseurs – Camille Mutel et Philippe Chosson – sont accompagnés d’une une chanteuse, Isabelle Duthoit qui impose une bande-son surprenante, dérangeante et envoûtante qui ne laisse pas le spectateur indemne : souffle imperceptible, râle guttural, feulement presque sensuel, gémissement qu’on croirait sorti d’un épisode de Walking Dead, chant d’oiseau asthmatique… Techniquement, c’est bluffant. Elle forme un étrange contrepoint au jeu de l’amour (physique) hésitant entre l’invite, la tentation, la peur et l’assouvissement qui occupe les deux danseurs. En tension permanent, le couple – évoluant parfois sur des images Osamu Kanemura – propose un étrange rituel mêlant exploration érotique d’essence nippone et références à Georges Bataille.

Festival Off d’Avignon, jusqu’au 29 juillet

www.avignonleoff.com

www.grandest.fr

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