Coop, rien ne va plus
Si le modèle économique fondant Coop Alsace au moment de sa création en 1902 a perduré pendant de nombreuses années, il semble aujourd’hui à bout de souffle. Qu’est-il encore possible de sauver chez le deuxième employeur privé de la région avec quelque 3 500 salariés sur le point de s’allier à Casino ? Éléments de réponse.
Quatre directeurs généraux en quatorze mois, des pertes importantes (17,8 millions d’euros en 2010), des dettes de 123 millions d’euros pour 636 millions de chiffre d’affaires… La descente aux enfers de Coop Alsace, aujourd’hui placée sous mandat ad hoc[1. Un mandataire aide et conseille l’entreprise et son dirigeant – qui garde tous ses pouvoirs – notamment dans ses rapports avec les créanciers dans le cadre du rééchelonnement de la dette], s’est accélérée depuis un peu plus d’une année. Comment en est-on arrivé là ? Tout allait bien jusqu’au début du siècle resitue Raphaël Guina secrétaire général du syndicat CFTC du Bas-Rhin. Les années fastes se situent « entre 1997 et 2001. Alors, les hypers faisaient vivre la Proxi. »
L’entreprise alsacienne rassemblant des hypermarchés, des supermarchés[2. Un supermarché est un établissement « réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires en alimentation et dont la surface de vente est comprise entre 400 et 2 500 m2 » selon l’INSEE] et des magasins de proximité n’a pas su épouser les évolutions sociétales (explosion du e-commerce, concentration des enseignes, essor du hard discount…) mais cela ne suffit pas à expliquer la chute d’un groupe qui n’a pas réussi à s’adapter au marché, ne rénovant, par exemple, pas ses magasins, renforçant une image vieillissante. Début 2009, Yves Zehr, alors PDG de la Coop, signe un accord de partenariat avec Leclerc qui implique l’adhésion à une nouvelle centrale d’achats et un contrat d’enseigne : les hypermarchés du groupe passent sous enseigne Leclerc et une vingtaine de supermarchés se transforment en Leclerc Express. Cette première entaille dans l’identité de la Coop – dont chaque sociétaire possède théoriquement le droit de participation aux grandes décisions – n’a pas suffi…
Le plan de la dernière chance
Arrivé aux manettes en novembre 2011, l’ancien patron de la banque LCL, Christian Duvillet a choisi de fixer cinq priorités, essayant « de sauver ce qui peut l’être, malgré près de 20 millions de pertes par an, depuis 2008. Il nous faut : retrouver l’équilibre économique, sauvegarder le maximum d’emplois et de points de vente, s’adosser à de grands distributeurs et garder l’âme de la Coop. » Son plan annonce clairement une restructuration de l’entreprise créant trois entités différentes : la première regrouperait les hypermarchés et les supermarchés toujours exploités sous enseigne Leclerc.
La seconde créerait une holding Coop contenant la dette, la plateforme logistique de Reichstett et l’ensemble du foncier, même s’il « ne reste pas grand-chose de l’immobilier, puisqu’on a vendu les bijoux de famille pour réduire les pertes depuis des années », affirme Laurent Hobel de Force Ouvrière.
La troisième entité, une société en participation, rassemblerait le secteur le plus déficitaire du groupe : les 155 magasins de proximité (636 salariés), dont « pas un seul n’est rentable » note Raphaël Guina. Elle serait détenue à 51% par la Coop et à 49% par Casino avec qui l’entreprise alsacienne a signé un accord de négociation exclusive fin décembre. Le montage servirait donc à enrayer les déficits. Mais n’y a-t-il pas un risque de dépeçage en règle ? C’est la grande inquiétude des syndicats puisque les bases de l’accord prévoient que le groupe stéphanois détienne 100% de la proximité au plus tard trois ans après son officialisation.
Christian Duvillet assure n’avoir guère d’autre alternative. La solution “en solo”, envisagée par ses prédécesseurs, aurait impliqué 67 fermetures de magasins et 110 licenciements (à ajouter aux 370 personnes parties au cours du Plan de départs volontaires, de fin août à octobre 2011). « Casino est non seulement très bon sur la proximité mais permet surtout de conserver 141 points de vente avec la double enseigne Coop-Casino » rajoute le Président, évaluant les suppressions de postes entre 180 et 240. D’après un document interne que nous avons pu nous procurer, le plan de sauvegarde de l’emploi prévoirait 473 suppressions de postes au total. La réduction de la voilure est donc enclenchée.
Côté CFTC, Raphaël Guina résume : « On nous propose un choix entre la peste et le choléra. Notre volonté première est de maintenir l’emploi. S’il faut changer de modèle pour les conserver, nous le ferons. Être responsable aujourd’hui c’est ne pas nier la réalité. » Autre son de cloche du côté de l’intersyndicale CGT-CFDT-FO où Laurent Hobel se veut plus radical : « Comment des personnes qui nous ont conduit dans cette situation peuvent-elles prétendre nous en sortir ? Refusant toute fermeture de magasin, « face à l’alternative que propose la direction, Casino ou la mort », il va jusqu’à préférer le « dépôt de bilan » (sic) ! Il s’agit de la stratégie jusqu’au-boutiste de ceux « qui n’ont plus rien à perdre » et qui ne sont pas prêts à participer activement au dépeçage du groupe Coop débuté avec le passage sous le giron Leclerc.
L’association avec cette enseigne avait le double bénéfice de remplacer l’image vieillotte qui collait au groupe tout en offrant des prix bas. Mais les prix Leclerc ont aussi entraîné « une réduction drastique des marges arrières[3. Le moyen pour le distributeur d’encaisser, outre la marge qu’il fait déjà sur le consommateur, une marge supplémentaire sur le fournisseur, en échange normalement, de la mise en avant d’un produit, d’opération commerciales…] » de Raphaël Guina et donc des bénéfices pour les Hypers.
La mauvaise santé financière fait aujourd’hui craindre une cession des magasins comme ceux de Saint-Louis et Sélestat dans lesquels Leclerc est devenu majoritaire. « Si l’on fait ça avec nos six Hypers restants, l’équilibre avec la Proxi deviendra impossible et les ruines du modèle Coop sur lesquelles nous vivotons seront définitivement enterrées », analyse Raphaël Guina. Quant au modèle Casino en proximité (Petit Casino, Spar, Vival, Leader Price, Franprix) vanté par l’actuel président, il véhicule son lot de dégâts. Un accord entraînerait le passage de 90 gérants-salariés Coop au statut de gérants-mandataires sous Casino. Pas de salaire fixe, une responsabilité accrue, un retour sur les acquis sociaux liés à l’ancienneté…
Ce n’est donc plus un modèle, ni des acquis que l’on tente de sauver, mais des emplois. Un pragmatisme dans lequel excelle Christian Duvillet qui n’a de toute façon pas le temps de regarder les erreurs de ses prédécesseurs dans le rétroviseur.
Se profilent devant lui plusieurs chantiers : finaliser l’accord avec Casino, moderniser la plateforme de Reichstett dans les trois ans sans répéter les fiascos de l’informatisation et de l’automatisation, se lancer dans Internet qui « dispose d’un taux de développement aujourd’hui incontournable » et trouver les fonds nécessaires à la modernisation des points de vente afin de faire revenir les clients transfrontaliers, français et allemands. Laurent Hobel souligne ainsi que « Super U refait ses magasins à neuf tous les dix ans ». Duvillet est conscient du retard et « profite déjà du choc culturel actuel pour opérer les changements dans les horaires d’ouverture. Nous ne pouvons rester sur un modèle d’il y a plus de 20 ans dans lequel les Coop sont fermées de 12h15 à 15h et surtout à compter de 17h30. L’Allemagne a su le faire ces dix dernières années avec une approche segmentée des produits et de la clientèle, pourquoi pas nous ? »
Des solutions alternatives ?
Face au projet mené par le président directeur général certains proposent d’autres solutions qui vont d’un partenariat public / privé à l’exemple de Manurhin à Mulhouse où l’État a injecté de l’argent pour sauver 130 emplois à une réappropriation de l’entreprise par ses sociétaires. Sans réelle visibilité quant à leur viabilité possible. Dans cette optique a été fondée une Association Régionale de Soutien aux Coop d’Alsace[4. www.soutien-coop-alsace.org] dont le président, Philippe Spitz « marque sa ferme opposition aux options proposées par l’actuelle direction » et souhaite que les collectivités locales organisent des états généraux de la distribution avec pour objectif « le sauvetage du groupe dans son esprit coopératif ».
Finalement Coop Alsace ne se trouve-t-elle pas au cœur d’une équation impossible : comment, aujourd’hui, créer de la rentabilité avec un réseau majoritairement composé de petits points de vente largement répartis sur le territoire alsacien jouant un important rôle de lien social et de diffusion des produits régionaux ? Devant l’ampleur des enjeux économiques et sociaux, les politiques ont massivement apporté leur soutien, sans que cela se transforme, pour l’instant, en effets concrets. Les échéances électorales y changeront-elles quelque chose ?