Kafka sur le rivage

©Pascal Gely

L’univers de Terry Gilliam, l’étrangeté fantastique de Franz Kafka et la poésie de Michel Gondry, autant d’inspirations pour Mohamed Rouabhi et sa nouvelle création, Alan.

En lisant votre pièce, j’ai eu l’impression de voir le héros des Oiseaux de Tarjei Vesaas projeté dans l’univers bureaucratique et déshumanisant de Brazil…
Ce sont des références qui me vont ! Je suis un lecteur assidu de Kafka dont je suis allé jusqu’à lire intégralement ses Correspondances. L’univers autour duquel je gravite est peuplé de personnages décalés, penchant vers la schizophrénie et des mondes hantés par la claustrophobie. Alan a cette vie monotone et solitaire, il prend le bus et va travailler dans un bureau sans adresser la parole à qui- conque, si ce n’est à lui-même.

Votre travail d’écriture, très proche du roman, brouille les cartes : peu de dialogues, sauf avec une voix intérieure ou un double d’Alan à tête de lapin appelé l’Étranger. Le doute est entretenu sur qui parle, ce qui est de l’ordre de la réalité et de l’imaginaire…
Ma mise en scène simplifie les choses. Je voulais faire parler une voix intérieure à lui- même, ce qui nous arrive souvent sans qu’on y prête attention. Alan paraît un peu fou avec ses voix plurielles qui se contredisent. Le trouble est identique à celui du personnage récurrent d’Harry dans les romans d’Hubert Shelby Jr. qui se parle sans cesse. Nous entrons dans son cerveau et partageons ainsi une grande intimité avec lui. Sur scène, tout cela est en voix off, sauf ses échanges avec Mademoiselle Jones qui brisent son isolement et son repli sur soi lorsqu’il découvre l’amour.

©Pascal Gely

Cette plongée dans l’imaginaire du personnage est renforcée par le recours à la poésie de l’image animée. Combien de dessins Stéphanie Sergeant, ancienne pensionnaire des Beaux-Arts de Nancy, a-t-elle réalisés ?
Plus de 15 000 ! En 2D, entièrement à la main ! Cela représente deux ans de travail. On s’approche ainsi de l’imaginaire enfantin pour des scènes de rêve ou pour pénétrer dans le livre de botanique qu’Alan adore. J’avais envie d’immerger le spectateur dedans, avec la naïveté véhiculée par ce type d’animation assez ancien. Stéphanie a créé plusieurs uni- vers picturaux. Nous mélangeons le mapping sur l’ensemble du décor et la rétroprojection.

Il vous fallait un “bougeur” comme Hervé Sika pour interpréter Alan ?
Je ne voulais surtout pas être dans l’illustra- tion du texte. Corps et voix off sont souvent désynchronisés, très décalés. Nous suivons Hervé Sika dans sa manière d’écrire dans l’es- pace. Ce danseur passe son temps à compter et prendre des repères dans la scénographie.


Au Théâtre national de Strasbourg (dès 10 ans), du 10 au 21 avril
tns.fr


 

 

 

 

 

 

Paru aux éditions Actes sud-Papiers (15 €)
actes-sud.fr

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