En pleine figure
La Fondation Beyeler consacre une importante exposition à Georg Baselitz : visite avec Nadine Koller qui a travaillé au commissariat aux côtés de Martin Schwander.
Quelle est l’ambition de cette exposition dédiée à Georg Baselitz¹ ?
Nous souhaitons retracer de manière chronologique, en une centaine de pièces – 90 peintures et 12 sculptures –, l’intégralité de la trajectoire de l’artiste, à l’occasion de son 80e anniversaire. Nous avons travaillé avec sa complicité pour dresser les contours d’une rétrospective où sont présentées ses œuvres les plus marquantes. Afin que le panorama soit complet, le Kunstmuseum montre également ses travaux sur papier².
Quels sont les thèmes essentiels que le visiteur découvre ?
La figure humaine est au cœur de l’exposition. Elle y est montrée dans tous ses états. On y croise souvent l’artiste et sa femme Elke. Dans son autoportrait de 2017 Avignon ade, il ne cherche pas à embellir son corps marqué par l’âge. Il se représente, nu, comme coupé en deux verticalement. Son pied est arraché, renvoyant, dans ce jeu d’allers-retours permanents dans son œuvre, à une composition de 1963.
Le parcours débute en 1959 : comment qualifier les premiers tableaux exposés ?
Ils sont marqués par la brutalité et des teintes sombres, à la fois dans le traitement et dans les motifs comme ces Pieds pandémoniques, onze vues de pieds coupés que je viens d’évoquer. Ils préfigurent des toiles des années 1966-1968 de la série des Fractures, où les êtres humains et les animaux sont représentés en morceaux, évoquant des puzzles mélangés : il est fasciné par la fragmentation de la figure. Baselitz s’est en outre toujours attaché à créer un lien avec l’Histoire de l’Art dans ses compositions : il revisite ici le cubisme… avec une certaine ironie !
Une autre série célèbre des sixties, dont on voit quatre exemples, se nomme Héros…
Il pose la question : qu’est-ce qu’un héros ?
Sa réponse est de montrer des êtres solitaires, blessées – physiquement et mentalement – de retour de la guerre évoluant dans des paysages eux aussi “blessés”. C’est une manière de se confronter à l’Allemagne du Troisième Reich, une thématique essentielle chez le peintre qui revient dans ses Remix, initiés en 2005, sur le début de sa carrière, jetant un regard nouveau sur des séries comme Héros, avec des techniques différentes.
Une toile de 1969 montre un paysage retourné : pour l’artiste « peindre à l’envers évite de poser le problème du sujet ». Depuis ce renversement opéré dans Der Wald auf dem Kopf c’est sa “marque de fabrique”…
Il s’agit aussi d’une étape logique dans son parcours de réflexion sur la représentation de la figure : dans Das Kreuz (1964), accroché dans la deuxième salle de l’exposition, apparaît déjà, dans le coin supérieur de la toile, un motif peint à l’envers ! L’évolution se poursuit jusqu’à aujourd’hui…
À la Fondation Beyeler (Riehen / Bâle), jusqu’au 29 avril
¹ Voir Sens dessus dessous dans Poly n°206 ou sur poly.fr
² Jusqu’au 29 avril (Bâle) kunstmuseumbasel.ch