Mémorial pour fracassés
Les Naufragés, nouvelle création d’ Emmanuel Meirieu, porte à la scène le regard acéré et bouleversant, clinique et politique de Patrick Declerck sur la condition des clochards.
Un collier antipuces pour chien au poignet. Un autre à la cheville. De la poudre contre la gale. De vieux vêtements sur lesquels il verse une bouteille de mauvais vin. Patrick Declerck a 26 ans lorsqu’il se prépare à s’immerger comme ethnographe dans le quotidien des marginaux et des SDF pour découvrir de l’intérieur leur quotidien et leurs conditions d’accueil dans les centres d’aide. Il passera 15 ans à les suivre de la rue aux hébergements d’urgence, créant et pratiquant la première consultation psychanalytique au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre. Le plus gros de France. 750 lits, une morgue et un cimetière. « Il est allé au front comme un infirmier de guerre, proposant une médecine de riches – la psychanalyse – aux gens les plus en rupture de la société », raconte Emmanuel Meirieu, qui n’a « eu aucun mal à être convaincu » par le comédien François Cottrelle lorsqu’il lui a parlé de ce projet . Ensemble, ils travaillent l’adaptation du livre de Declerck, Les Naufragés paru en 2002, mélange de descriptions cliniques, d’ethnologie, d’analyse des politiques mises en place et de témoignages de rencontres comme de moments de vie aux frontières du sublime et de l’insoutenable.
J’ai aidé à les soigner. Je pense en avoir soulagé plusieurs. Je sais n’en avoir guéri aucun, écrit-il sans ambages.
Du quotidien à la remise en question du système
Dans cette somme, le duo s’est attelé à construire une histoire linéaire où l’on suit un personnage pour lequel on redoute et espère avec empathie. Le tout sans rien adoucir du propos. Ainsi suit-on l’enquête autour de Raymond, qui s’est laissé mourir à l’arrêt de bus situé à 15 mètres du Centre. Dans la peau du psychanalyste, François Cottrelle cherche son corps disparu qu’on ne trouve nulle part, découvre les étapes de sa clochardisation. Il comprend la responsabilité des travailleurs sociaux qui ont rêvé trop grand pour lui, dénonce le logiciel de la réinsertion et de la toute puissante valeur travail érigée en graal de la profession. « Je souscris à son attaque de la valeur sociale », assume Emmanuel Meirieu. « Il l’interroge à une époque où plus personne ne la met en doute. Sa démonstration est brillante sur une question pour le moins complexe. »
La violence du désespoir saute à la gorge, comme celle du système, des flics qui ricanent devant des coïts avinés dans les bus de ramassage, aux gifles et aux coups des surveillants de Nanterre, jusqu’au « caractère saisonnier de l’aide humanitaire qui tue ». Le metteur en scène se défend de tout aspect pamphlétaire : « Declerck attaque les échecs et les impasses de l’institution, pas celle des individus, soignants et autres, pour lesquels j’ai moi-même le plus grand respect. Je ne recherche pas l’âpreté mais l’émotion et la compassion par la construction d’un écrin à cette matière humaine : des gros plans vidéos des comédiens projetés en grand ou de vraies images tournées au Centre. »
Consultez le trailer du spectacle ici : https://vimeo.com/channels/naufrage
comedie-est.com
> Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du 29 mars