Au Bout de la Route
Avec Bois impériaux, le collectif Das Plateau nous embarque dans le road-trip hanté de la jeune auteure Pauline Peyrade. Une création peuplée de jeux optiques et de contaminations d’images.
Au déclenchement de l’écriture, un fait divers à la Bonnie & Clyde. Celui de Florence Rey, étudiante en Lettres de 19 ans, et son compagnon Audry Maupin, braqueurs d’une nuit, lancés dans une course poursuite avec prise d’otages en plein Paris. Cinq personnes seront tuées. Outre les débats passionnés sur leurs motivations et la violence de leur geste façon Natural Born Killers d’Oliver Stone, la France de 1994 était frappée par le silence de la jeune fille, seule rescapée. La fascination pour son visage enfantin, pommette droite égratignée, entrait dans la légende. Pauline Peyrade s’imagine d’abord le couple continuant sa fuite. Le cocktail détonnant nuit, armes et voiture l’emmenant dans des contrées étranges. Son imaginaire le transforma en duo frère-sœur, aux échanges structurés par l’habitacle. S’égrènent les minutes, défilent les noms sur les panneaux de signalisation en parallèle des discussions hachées, et l’on comprend petit à petit que le frère, psychotique, est conduit dans une institution par sa sœur, qui se mue en objet de fantasme du téléphone rose pour ramener de quoi vivre. Une sorte de long plan séquence, très cinématographique, évoquant la folie et la détresse de la maladie. La difficulté de l’amour aussi. « Deux enfants perdus qui roulent dans une sorte de drame social façon frères Dardenne », explique Céleste Germe, metteuse en scène séduite par « l’écriture vive, tendue, le suspens de thriller » dont on ne peut que taire l’intrigue.
Bois impériaux ou de nouveaux modes narratifs
Pour ce conte sur notre monde laissant au bord de la route ceux qui peinent à conduire droit et rester dans les lignes, Das Plateau poursuit sa recherche de nouveaux modes narratifs, aptes à faire circuler le spectateur dans des sensations. Une sorte de palais des glaces mélangeant différents dispositifs optiques (diorama, pepper’s ghost, vitres et miroirs sans tain) fragmentent la réalité et diffractent l’espace, plongeant le spectateur dans des univers vertigineux façon Yayoi Kusama, avec apparitions de spectres et dédoublements infinis. Des abîmes rendant indémêlable la réalité des actions, renforcés par un travail sonore mélangeant le grain des voix et leur harmonie jusqu’à une troublante confusion. Énigmatique et mystérieuse se veut Bois impériaux, traversée du noir et de forêts peuplées d’éclats de rêves furtifs contaminés par des images invasives. Un trajet qui se termine devant le rayon bonbons d’une station service dans un rapprochement inconscient avec Hansel et Gretel. On y glisse avec la douceur d’un narcoleptique comme dans la brutalité d’un coup de frein. Ainsi en va-t-il de la vision kaléidoscopique de « l’extraordinaire beauté d’une jeunesse cassée par la violence du monde ».
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