Pièces de collection
Foire internationale d’Art moderne et contemporain de référence, art KARLSRUHE rassemble quelque 215 galeries venues de 14 pays. La Collection Frieder Burda est l’invitée d’honneur de sa 15e édition : rencontre avec Judith Irrgang qui est à sa tête et Henning Schaper, directeur depuis mai 2017 du musée qui la présente au public à Baden-Baden.
Comment décrire les liens unissant la collection rassemblée par Frieder Burda – qui compte plus de mille pièces – et le musée que vous dirigez à Baden-Baden ?
Henning Schaper. Sans collection, pas de musée (rires). Elle sert de fondement à nos expositions temporaires, mais nous allons largement au-delà. Certains visiteurs sont déçus, car ils viennent à Baden-Baden pour la voir : c’est pourquoi une pièce du Musée lui sera désormais consacrée en permanence, permettant d’en découvrir des œuvres phares.
Pourquoi présenter une partie de la collection à art KARLSRUHE ?
HS Nous avons souhaité nous ouvrir vers l’extérieur. C’est dans ce sens également, par exemple, que certaines expositions essaiment dans l’espace urbain de Baden-Baden, comme celle qui a été consacrée au photographe JR ou la monographie dédiée à James Turrell qui débutera en juin.
Judith Irrgang. Nous collaborons aussi avec d’autres institutions : une œuvre de la collection est ainsi présentée en permanence au Festspielhaus. Actuellement, c’est une photographie de Gursky.
Comment construire une exposition sur une foire d’art ?
HS Nous ne voulions pas que notre espace d’exposition ressemble au stand d’une galerie lambda et souhaitions montrer le côté éminemment personnel d’une collection. Elle reflète la vision et les goûts d’un homme, Frieder Burda.
JI C’est pour cela que nous avons créé un chaleureux salon privé de presque 400 m2, véritable havre de paix au cœur de l’effervescence de la foire. On rentre dans l’espace dédié à la collection comme dans une maison : dans l’antichambre, se trouvent des fauteuils, des livres… Ensuite la visite se poursuit à travers quatre pièces.
Quelles œuvres avez-vous choisi d’y installer ?
JI Nous avons travaillé main dans la main avec la famille Burda avec, comme idée directrice, de créer une communication entre les œuvres exposées. Nous avions envie de raconter des histoires au visiteur : dans la première pièce, nous entrons dans l’intimité de Frieder Burda avec notamment un portrait du collectionneur signé Sigmar Polke, qui était un de ses amis, et d’énormes roses – symbolisant son amour pour l’Art – qu’il avait commandées à Isa Genzken. Une des œuvres emblématiques de la collection y est aussi installée, une toile de Kirchner que Frieder Burda a reçu de son père.
HS C’est aussi un clin d’œil à notre exposition Die Brücke qui se tiendra cet automne.
Comment caractériser la collection ?
JI Elle possède une certaine sensualité : on n’y trouve pas d’art qui fait peur ou traumatise, qui fait se détourner le spectateur. La notion de plaisir esthétique est centrale.
Que va-t-on trouver dans les autres salles ?
JI Il sera question de transcendance, du fait que deux pôles opposés peuvent créer quelque chose : dans une sculpture de Willem de Kooning on découvre, par exemple, un couple, homme et femme, dont les formes semblent venir d’une même soupe primitive. Dans la dernière pièce, on s’intéressera à l’aspect politique de la collection avec Tent and child de Malcom Morley représentant un enfant réfugié ou My Fatherland Can Fuck Your Motherland de William Copley.
HS Pour résumer, cette présentation est une coupe transversale dans la collection qui raconte en même temps une histoire. Il est toujours fascinant de voir ce que peuvent faire les différentes œuvres quand vous les mettez ensemble. On a pu créer un dialogue entre des pièces de la collection des années 1970 et des acquisitions récentes.
Est-ce que cette présentation au cours d’art KARLSRUHE illustre votre philosophie de directeur du Musée ?
HS Tout à fait ! Dans une entreprise, le rôle du gérant est la maximalisation du profit. Une institution culturelle, un musée, ne peut pas faire du bon travail avec cet objectif en ligne de mire. Je ne crois pas aux vertus de l’exposition blockbuster. Pour moi, ce qui compte est la maximalisation de l’avantage retiré par le visiteur : ce que vous montrez dans le musée doit profiter le plus possible à chacun. L’Art enrichit l’existence et aide à affronter ses défis. Le visiteur qui rentre à la maison doit reprendre des discussions intéressantes avec son partenaire et il découvrir des choses qu’il n’a jamais vues. Il faut faire le premier pas. Et c’est fondamental. Je veux rendre ce premier pas aussi facile que possible.
En mai dernier vous avez pris votre poste au Museum Frieder Burda. Est-ce que c’est déjà le moment pour faire un premier bilan ?
HS Il est encore un peu tôt, mais il est possible de tirer quelques enseignements. Nous voulons donner un plus de vitalité et de dynamisme et de créer des surprises pour le visiteur… Frieder Burda a pensé cette maison parce qu’il avait une collection avec, comme idée première de la montrer : c’était le premier pas.
Mais avec ça il n’y a pas de surprises possibles, comme vous dites.
HS Exactement. C’est statique. Chaque grande collection du monde est fantastique. Vous allez au MoMa, vous allez au Metropolitan Museum of Art, mais vous n’y voyez pas que la collection, mais aussi une programmation. Et ici on s’est dit aussi après deux, trois ans, qu’on pouvait et voulait faire plus que de montrer la collection. Nous sommes à Baden-Baden depuis maintenant treize ans. Après treize ans, la lune de miel est finie (rires) ou, si vous préférez, le musée sort de l’adolescence. Pendant de nombreuses années, le public est aussi venu pour voir le bâtiment, un bijou architectural extraordinaire. Mais cela ne suffit plus. Nous avons le désir de monter des expositions surprenantes, qui se basent bien sur la collection, mais plus seulement.
Revenons au bilan : d’où viennent les visiteurs ?
HS Dans une ville avec 55 000 habitants, nous avons entre 100 000 et 200 000 visiteurs par an, donc notre maison est bien fréquentée. Parmis les visiteurs il y a beaucoup de touristes. Quand vous êtes touriste à Baden-Baden et vous restez pendant deux jours, vous allez sans doute aller une fois au Museum Frieder Burda. Nous avons maintenant le désir de plus nous ouvrir, nous ne sommes pas uniquement un musée pour les touristes, mais aussi pour la région.
Vous-vous projetez aussi à Berlin avec le Salon placé sous la direction de Patricia Kamp…
HS Le Salon Berlin est une dépendance, mais aussi un lieu d’expérimentation. Il a été crée exprès dans un environnement tout à fait diffèrent. A Berlin vous avez l’urbanité, la vitesse, la vivacité, mais aussi moins de persistance, il faut essayer les choses rapidement. C’est un catalyseur. Il ne s’agit pas d’y présenter notre maison mais de découvrir l’art le plus expérimental et de lui donner un forum. Nous pouvons y faire des choses que nous ne pouvons et ne voulons pas faire ici.
> America! America! au Museum Frieder Burda (Baden-Baden) jusqu’au 21 mai (voir Poly n°204 ou sur poly.fr)