Buveurs d’étiquettes
Ringardes, les étiquettes des vins d’Alsace ? Pas toujours, puisque certains domaines ont pris le problème à bras le corps. Éléments de reflexion sur un sujet loin d’être anecdotique.
Le premier contact avec une bouteille est visuel et les acheteurs lui accordent une attention toute particulière. Or, le poids de la tradition, les habitudes du domaine, la très faible culture graphique de nombreux producteurs, le manque d’imagination des concepteurs ou des imprimeurs, font que beaucoup (trop) d’étiquettes apposées sur les bouteilles alsaciennes sont tristes et / ou d’un classicisme affligeant, offrant au regard une bien piètre image du potentiel créatif de la région. Si l’on regarde d’antiques flacons des années 1950, se découvre une qualité, certes datée, mais ô combien charmante, du graphisme souvent réalisé par une simple cave coopérative ! Aujourd’hui le tableau est plus morne, et pourtant l’Alsace a une forme de bouteille élancée possédant une forte identité. Cette grande flûte dresse fièrement sur nos tables son architecture qui n’est pas sans rappeler la grâce conquérante de la èche de la Cathédrale de Strasbourg. Dommage qu’elle soit souvent trop mal vêtue…
Nombre de vignerons, peu enclins aux ruptures de style, préfèrent en effet rester fidèles à une fausse tradition, puisant son uniformité dans l’incapacité à se réinventer… Les collectionneurs, qui disposent d’un fonds important d’étiquettes d’avant-guerre, savent bien que chaque période de production a connu son style : en phase avec leur époque, quelques producteurs ont néanmoins eu l’excellente idée d’associer à la conception de leurs visuels, des artistes locaux, graphistes, peintres, créateurs contemporains… pour des résultats plus que probants, originaux et éminemment valorisants pour le domaine et l’artiste. Logique que les choses aillent dans cette direction dans une région qui se caractérise par la qualité de ses écoles d’art. Parmi les plus réussies, citons Achillée, domaine créé ex nihilo en 2016, à Scherwiller, par la famille Dietrich qui a courageusement décidé de quitter le cocon protecteur d’une cave coopérative pour mettre ses vins directement sur le marché. En culture bio certifiée, ce domaine d’une vingtaine d’hectares a non seulement construit un chais bioclimatique totalement innovant en bottes de paille, mais a également confié la réalisation de ses étiquettes à un graphiste de talent qui propose une vignette d’une grande classe. Fond noir, texture de traits blancs couvrant la forme de la parcelle, lettrage d’une belle élégance, sobriété de l’ensemble : un coup de maître et dès le départ une identité forte reflétant avec talent le caractère intransigeant des vins du domaine : bravo !