Pour ses 30 ans, Pôle Sud fait d’EXTRADANSE une fête en réunissant des chorégraphes ayant marqué son histoire. Coup de projecteur sur Emanuel Gat et Mark Tompkins.
Loin de ses récentes pièces de groupe autour des musicals ou des minstrel shows1, Mark Tompkins signe une poignante mise à nu, au sens propre comme au figuré. Dans STAYIN ALIVE à ma mère, l’Américain installé depuis le milieu des années soixante-dix en France revient en solo sur son enfance, son homosexualité libérée, le sida, les gouffres familiaux et les affres de l’âge. Dans un dispositif tri-frontal aux airs de file d’attente d’aéroport pour fouille en règle, il exhibe son corps las, usé par le temps, mais jamais totalement abattu. Ce n’est pas à 66 ans que ce grand échassier amaigri va se mettre à tricher. Tout juste entretient-il un doute sur l’enrobage de fiction autour des pans de vie qu’il raconte. Regard triste, il manie comme personne l’art d’être bouleversant dans l’instant pour mieux relever la tête avec des bouts de chansons réchauffant les cœurs. Ce check point face public pour artiste en proie au bilan n’a rien du voyage d’agrément. S’il arrive en chapka de cuir, long manteau élimé et bottines rouges criardes dans une nappe de fumée, le voilà qui déballe postiches, robes et accessoires de son bagage cabine avant d’offrir sa nudité froide mêlée de sincérité brute : l’amour fait mal, à l’instar de la levrette qu’il simule, ployant sous des coups de reins imaginaires avant de s’affaler, sanglotant, sur la table en position fœtale. Il faut tout son humour chevillé au corps et ses talents de performeur totalement engagé dans ce qu’il livre d’intimité pure pour parvenir à faire passer ce moment glaçant. La musique accompagne les peines, jouant son rôle de diversion. D’un remix du Stayin alive des Bee Gees à ses reprises des Doors, Prince ou Peggy Lee (avec le sublime Is that all there is), l’anecdotique de son enfance de bébé allergique à 253 choses succède aux derniers instants de sa mère en phase terminale. Une introspection nostalgique entre extravagance, rire et effroi, crudité des plaisirs de la chair et des dangers du VIH dont on ressort, assez incroyablement, sans bourdon.
Let the sunshine
Bien plus solaire se veut Sunny, pièce d’Emanuel Gat2 pour dix danseurs et un musicien, Awir Leon. Les spectateurs n’auront pas la joie de voir son ancien danseur François Przybylski (qui œuvre sous pseudo pour sa seconde vie musicale) sur scène, mixer et jouer de ses Pads en direct sur un bord au lointain du plateau, comme pour la création à la Biennale de la Danse de Venise, en 2016. Toutefois ses compositions aux textures electro tirant sur les envolées indie-pop et sa voix rappelant celle de Chet Faker teinteront la pièce sur bande. Le chorégraphe israélien, venu à la danse sur le tard, reste fidèle à ses principes de fonctionnement : des consignes lancées à ses danseurs dont les propositions lui servent de matière brute dans laquelle architecturer. Gat choisit, prend, jette, redéploye et découpe. Joue des intensités et de la diffraction dans le temps et l’espace. Ses fantaisies sur un même thème – qui ne se limitent pas à sa reprise du morceau-titre Sunny, revisité au clavier – regorgent de surprises dans les combinaisons entre interprètes, la suspension des mouvements qui apparaissent comme les blancs au milieu des notes d’une portée complexe. Malgré les apparences, point de chaos ici. La partition comporte une grande force et une structure, à peine visible, mais dont les ritournelles impriment les échos sonores et fragmentaires dans une captation de notre attention sans cesse recherchée. La musique hypnotique et festive de Leon ne cesse de relancer la danse, l’inviter à ressurgir dans une énergie maximale et pourtant, jamais précipitée. Les solos traversant cette pièce de groupe foisonnante toujours se rejoignent, pour mieux repartir, un brin transformés. Nourrir le collectif autant qu’ancrer plus encore l’impétuosité des personnages. Chaque danseur garde sa patte, son style, sa gestuelle vive explosant d’énergie communicative, de fulgurances et d’élans. Aux mouvements animaux et arachnéens s’ajoute une certaine tendresse des regards, comme autant de dialogues secrets nous laissant à la fois extérieurs et proches. D’étranges parades amoureuses se nouent ça et là, corps qui se frôlent et se cherchent sans quasiment se toucher. Une fois ces astres alignés, des phrasés chorégraphiques en canon débutent, quasi identiques, avant leur dissémination d’atomes rendus à l’espace du plateau, jetés au sol rapides et miroirs émotionnels de ce qui traverse tout un chacun. Pour ceux qui douteraient du statut de rituel collectif de Sunny, Emmanuel Gat s’offre un ombrageux bal de coiffes à plumages incroyables, tulles formant une coupe afro englobant le visage, cape dorée scintillante dans la lumière qui se gonfle de vent, combinaison moirée avec plateformes et épaulettes galactiques. Un retour scintillant des rayons du soleil après l’averse.
EXTRADANSE, à Pôle Sud, au Maillon, à la Médiathèque de la Meinau, à l’Espace Django, au Point d’eau, au Cinéma Star et dans l’espace public à Strasbourg, du 24 mars au 9 avril
pole-sud.fr
Soirée spéciale anniversaire avec Dominique Boivin, Daniel Larrieu, Louis Ziegler, Pierre Boileau, Georges Appaix, Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna, à Pôle Sud (Strasbourg), mercredi 25 mars
Sunny d’Emmanuel Gat, au Maillon (Strasbourg, coréalisé par Pôle Sud et Le Maillon), jeudi 26 et vendredi 27 mars
maillon.eu
STAYIN ALIVE à ma mère de Mark Tompkins, à Pôle Sud (Strasbourg), mardi 7 et mercredi 8 avril
1 Lire La Case de l’Oncle Tom dans Poly n°154 ou sur poly.fr
2 Voir Le Monde selon Gat, article autour de Brilliant Corners paru dans Poly n°156 ou sur poly.fr