Voodoo Child
Durant ses safaris dévolus à la chasse, Marc Arbogast, ancien PDG des Brasseries Fischer, se passionna pour l’Art vodou. Ayant compilé des centaines de statuettes et fétiches d’Afrique occidentale, il décide de créer le premier Musée Vodou d’envergure, à Strasbourg. Rencontre avant ouverture, à la rentrée.
Rendez-vous est pris, rue des Charpentiers, au fond d’une de ces cours intérieures insoupçonnables dont regorge la capitale alsacienne. Bernard Müller, docteur en Anthropologie et chef de projet du futur Musée Vodou, nous accueille dans deux salles où s’entassent des centaines d’objets, crânes et statues étiquetés et emballés. Depuis ces modestes réserves, des pièces reviennent de prêt du Quai Branly, de la Kunsthalle de Bonn ou sont en partance pour la fondation La Caixa de Madrid. Pour celui qui grandit au Togo de 1974 à 1983 avec ses parents, « ces objets font partie de la vie de tous les jours ». Il ne cache pas sa joie de travailler sur le futur Château d’eau, projet de musée privé mettant en valeur l’incroyable collection constituée au Togo et au Bénin par Marc Arbogast, depuis 1963.
Le Château d’eau
En 2007, cet ancien ingénieur aux brasseries Fischer et Adelshoffen, devenu PDG puis directeur de la stratégie et du développement d’Heineken (les entreprises historiques étant tombées dans l’escarcelle du groupe hollandais en 1996), acquérait l’ancien Château d’eau de la route des Romains, à Strasbourg. Un édifice de 1878, jouxtant la gare, qui servait de réservoir pour l’alimentation des locomotives à vapeur. Classé aux Monuments historiques avec ses quatre cuves de 200 m3, les négociations avec l’administration dans l’optique de travaux d’aménagements pour en faire un musée traînent. Après moult rebondissements, une seule est conservée autour d’un escalier central qui dessert les différents niveaux du bâtiment. À l’automne 2012, le chantier d’1,6 millions d’euros, entièrement financé par le collectionneur, débute. Il devrait s’achever cet été : 700 m2 exploitables répartis du sous-sol (réserves à murs en verre visibles par le public) au troisième étage (œuvres majeures de la collection dans la gloriette aux vitraux rénovés).
L’espace dédié à l’exposition permanente (150 à 200 pièces tournant tous les deux ans) et les reconstitutions d’autels, tels qu’ils existent aujourd’hui encore au Togo et au Bénin, occuperont les premier et deuxième étages, le rez-de-chaussée servant à l’accueil du public et à des expositions de créateurs contemporains. Seule dépense pour la Ville de Strasbourg, le financement d’un escalier extérieur aux normes d’accessibilité qui, pour l’instant, achoppe. Mais « difficile de croire que la question ne se débloquera pas devant la qualité du projet », estime Bernard Müller. « Mis à part le New Orleans Historic Voodoo Museum, centré sur le versant haïtien du culte, et le modeste Soul Of Africa Museum d’Essen, il n’existe pas de musée dédié. Le Château d’eau – Musée vodou sera donc le plus important avec plus de 800 pièces : aux 500 de Marc Arbogast s’ajoute le rachat des 356 du collectionneur Jean-Jacques Mandel. »
Des Ashantis aux Fons
Ce fonds vodou plonge aux racines même de ce culte religieux et de cette tradition philosophique nés dans l’ancienne côte des esclaves, sur la rive atlantique de l’Afrique. C’est le royaume du Dahomey, l’actuel Bénin, qui l’a institué au XVIIe siècle, ancrant cette croyance partagée par les Ashantis (Ghana) et les Yorubas (Nigéria) en l’existence d’un lien entre monde visible et invisible, d’une communication possible entre vivants et esprits grâce au sacrifice, à la prière et à la possession. Le vodou[1. Le vodou viendrait, pour Suzanne Preston Blier, professeure d’Art africain à Harvard, de la langue Fon (Bénin) vodun : “vo” (se reposer) et “dun” (puiser de l’eau) signifiant allégoriquement « la nécessité de rester calme quelles que soient les difficultés auxquelles chacun peut être confronté »] s’est construit sur les bases du Fa, « cet art de lire passé, présent comme futur en décryptant les forces en jeu », explique Gabin Djimassé, chercheur et historien béninois. Longtemps raillés et détruits par les colons et missionnaires européens, les objets de pouvoirs que sont les fétiches et autres gris-gris ont traversé les siècles avec leur ancêtres divinisés et leur panthéon renvoyant aux forces de la nature (terre, mer et foudre). Contrairement à la spoliation massive opérée dans les Arts premiers, le travail autour de la collection mené avec Nanette Jacomijn Snœp (conservatrice des collections historiques au Musée du Quai Branly) s’effectue en lien étroit avec les prêtres africains. Il a permis de recenser, décrire et comprendre la finalité de chaque objet, mais aussi de les “désactiver” pour le bien-être du musée !
Ethnologie
Crânes de prêtres bokono[2. Sorte de devin jetant les cauris (coquillages) pour y lire le destin] portant calebasses et cauris incrustées, autels des ancêtres en métal sur des pics, fétiches botchio (protecteur du village ou d’un lieu) ou djoka destinés à se protéger de l’infortune, à conjurer le sort et infléchir les routes du destin, costumes egungun représentant les morts de l’année dans lesquels les couches de tissus accumulés signalent la généalogie aux initiés, représentations des dieux du panthéon comme Mami Wata et sa queue de sirène (dont la collection regorge de versions contemporaines et étonnantes aux couleurs et formes pop) ou encore statues kélessi particulièrement craintes pour leur capacité à renvoyer le mal vers l’autre… les objets couvrent tout le champ du vodou togolais et béninois. Des talismans pouvant jeter des sorts aux sculptures collectives protégeant les champs, ressemblant à s’y méprendre à une version assise d’Anubis.
Chacun d’entre eux est le fruit de cérémonies et d’activations par les prêtres. Le demandeur lui amène un objet personnel qu’il ajoute à une sculpture réalisée par ses soins ou commandée à un artiste. Un ensemble de rituels “charge” les objets qui reçoivent du sang de poule, de l’alcool et de l’huile de palme. Ces couches sacrificielles, qui peuvent être nombreuses et récurrentes, activent ses pouvoirs. Les accumulations humaines (cheveux, ongles, os…) s’ajoutent à des morceaux de métal, transperçant cou et sexe ou se terminant, souvent, par deux arcs de cercle recourbés symbolisant la foudre (force et pouvoir). Mais aussi à des chaînes et cadenas marquant le fil des choses à dénouer, les lieux des ensorcellements ou les contrats liant deux personnes. Au milieu de tout cela, nous restons fascinés par une sorte de Janus à deux têtes accolées par la nuque, le double de l’individu dont il convient aussi de s’occuper si l’on ne veut pas que le mort revienne nous hanter.