Vagabondages en mer du sud
Les cultures du Sud et leur insolente créativité sont conviées à La Filature pour la première édition du Festival les Vagamondes. Théâtre, musique, performances culinaires et chorégraphiques sont au menu d’un voyage alléchant. Tour d’horizon.
Premier grand rendez-vous international initié par Monica Guillouet-Gélys depuis son arrivée à la tête de La Filature de Mulhouse, les Vagamondes consistent en « une semaine de dialogue où nous invitons la création artistique issue des pays dits “du Sud” : ceux du pourtour méditerranéen avec le Proche et le Moyen-Orient, mais aussi ceux des Balkans et du Sud de l’Europe de l’Est. » Secouée par des mouvements sociaux et politiques sans précédents depuis deux ans, cette région du monde n’en conserve pas moins une étonnante vivacité artistique et créatrice.
iRévolution
En tête d’affiche, des artistes que la directrice suit « depuis très longtemps » : les libanais Lina Saneh et Rabih Mroué. De plain pied dans notre époque, ils conçoivent 33 tours et quelques secondes à partir du suicide d’un jeune militant des droits de l’homme, Diyaa Yamout, en octobre 2011, qui électrisa les débats et les prises de position dans la société libanaise. Le couple de metteurs en scène installe un huis clos technologique dépourvu de toute présence humaine concrète. Entre fiction et documentaire, ils utilisent et mettent en avant les nouveaux moyens de communication – réseaux sociaux en tête – pour interroger, outre les raisons de son passage à l’acte, la teneur des réactions et des utilisations partisanes d’un geste par eux amplifié. À travers les objets de son quotidien (téléphone, ordinateur, TV, profil facebook…), nous sautons – en français, en arabe et en anglais les trois langues utilisées pour parler par SMS ou sur Internet au Liban – de ses propres textos projetés sur écrans, messages sur répondeurs ou commentaires sur Facebook, à leur instrumentalisation par les tenants d’une révolution ou d’un retour à l’ordre établi. La force de Saneh et Mroué est d’interroger, par la juxtaposition des divers canaux de communication existants et de leurs temporalités propres, les bouleversements qu’ils induisent dans notre relation aux événements et aux faits de société. Les frontières mouvantes de la vie privée et de la vie publique entrainées par la révolution numérique reflètent autant qu’ils révèlent les profondes failles d’une société libanaise morcelée par des années de guerre et d’enjeux d’influences étrangers.
Ovnis performatifs
Nombreuses seront les performances à voir durant le festival. L’iranien Ali Moini livre ainsi My Paradoxical knives, solo inspiré de la danse soufie. Inscrivant les mots du poète Rûmi au sol, il les effacera par ses mouvements circulaires tout en leur donnant voix dans un cliquetis de couteaux attachées à des bandelettes lézardant son corps qui volètent autour de lui. Un moment hors du temps où les vers tranchent comme la lame. Où l’image d’un homme dansant au milieu des couteaux interpelle les consciences.
Nouvelle ère
Seconde pièce trouvant son origine dans un drame contemporain, Alexis, une tragédie grecque mêle deux figures révolutionnaires face au pouvoir en place : Antigone et l’adolescent de 15 ans, tué en pleine rue par un policier à Athènes en 2008, déclenchant la révolte de toute une jeunesse face à l’ordre corrompu de ses élites. Entre témoignages recueillis dans la capitale hellène et projections d’images vidéos, les italiens Enrico Casagrande et Daniela Nicolò donnent, dans une poétique gorgée de politique, corps et voix à une jeunesse révoltée bien décidée à demander des comptes. De Grèce, il en est encore question dans la Late Night du Blitz Theater Group. Dans un décor de bal vieillot, rempli des cendres encore fumantes d’une guerre européenne finissante, six survivants témoignent, micro en main, de l’effondrement total de nos sociétés, se raccrochant à la musique et à la danse. Leur seule raison de tenir, notre seule échappatoire. L’écho avec la situation de ces Athéniens et de leurs compatriotes résonne, lancinant. L’ancien monde est bel et bien révolu. La crise et ses conséquences, ineffaçables. À chacun d’inventer de nouvelles manières de vivre et d’exister. L’éclair du Blitz Theater Group constitue, à n’en pas douter, un bon début…
03 89 36 28 28 – www.lafilature.org
# My Paradoxical knives, dans le hall de La Filature, samedi 19 janvier
# Late Night, à La Filature (en grec surtitre en français), samedi 19 janvier
# Alexis, une tragédie grecque, à La Filature, jeudi 17 janvier