Same old shit: Basquiat à la Fondation Beyeler
L’œuvre de Jean-Michel Basquiat (1960-1988), mort par overdose, est célébrée à la Fondation Beyeler. La plus grande rétrospective européenne de l’artiste américain envahit de sa fougue violente et radicale le musée suisse.
Jean-Michel Basquiat est de ces artistes dont l’aura flamboyante irradie l’histoire de l’art et fascine des générations successives. En huit petites années de création, il imposa dans les années 1980 toute la force et l’intensité de peintures instinctives, d’une mythologie bestiale et violente doublée d’une critique sociale revendicatrice, soufflant un vent de fraîcheur sur un néo-expressionnisme moribond. La trajectoire de cet ange noir qui s’est brûlé les ailes en consumant sa vie par les deux bouts nous est ici livrée en une centaine de tableaux, dessins et objets (environ 1/10e de son œuvre), prêtés par les plus grands musées du monde mais aussi des galeries et des collectionneurs privés. Happés par ces toiles grands formats aux couleurs vives, on ne peut contenir l’étonnement de découvrir ce substrat cosmique, déjanté et torturé sentant la crasse et la souillure des squats dans l’espace clinique de la Fondation Beyeler. Il y a comme une incompatibilité entre la consécration institutionnelle d’un tel musée et les sources même du travail de Basquiat. Pourtant, difficile de faire ce procès es-récupération à Ernst Beyeler qui, en 1983, invita l’artiste à Bâle pour exposer ses œuvres.
Fulgurante ascension
Basquiat débuta dans la rue, graffeur sauvage taguant les murs du centre de Manhattan à New York et les abords des galeries sous le pseudo SAMO [1. « SAMe Old shit », c’est-à-dire la même vieille merde], avec son compère Al Diaz à la fin des années 1970. Brouillés, il se lance en solo dans la peinture, vivant dans des squats et continuant à jouer avec son groupe de musique Gray, écumant les clubs de Downtown. Cette culture underground et urbaine va éclater dans ses toiles aux couleurs vives, aux traits primitifs (mâchoires de carnassiers, squelettes trashs) et à l’énergie aussi structurante que dé-constructrice dans la composition des toiles. La violence qui s’en dégage est omniprésente : visages déformés, yeux vides et immensément profonds, sexes dégoulinants à la bombe. Comme son ami Keith Haring (disparu lui aussi très jeune), il mélange la spontanéité et la rapidité propre au graff à une appropriation des codes et de l’imagerie quotidienne (musique, télé, images, cinéma et citations glanés ça et là) qu’il réinjecte dans ses toiles sous forme de sampling/scratching pictural.
The Radiant Child [2. Jean-Michel Basquiat : The Radiant Child, titre du film de Tamra Davis présenté cette année au festival du film indépendant de Sundance]
Sur des toiles rafistolées, clouées sur des structures brutes (Grillo, 1984) ou directement peintes sur des palissades (Flexible, 1984), Basquiat développe des aplats de couleurs criardes, des couronnes à trois pointes (sa signature) ou des auréoles de barbelés qui font de ses dessins faussement enfantins autant de cauchemars éveillés auxquels le recours aux drogues dures n’est pas étranger. Y évoluent, en couches multiples, des chiens de l’enfer, des hommes torturés, sortes de totems déjantés et squelettiques, mélange du sordide des bas-fonds et de vaudou haïtien. La fulgurance de la reconnaissance internationale de son œuvre, sa collaboration avec Warhol (de loin la partie la moins intéressante de son travail), sa participation aux grands événements (la Documenta 7 de Kassel) en firent l’un des premiers métisses black (fils d’un Haïtien et d’une Portoricaine) à avoir un tel succès. Basquiat en profita, non seulement pour rendre hommage aux grandes figures sportives et culturelles (Cassius Clay, Miles Davis…), mais aussi pour porter un regard ironique sur les flics (Irony of negro policeman, 1981) et la société américaine.
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