Festival Témoins d’Ailleurs: Interview avec Amir Reza Koohestani
Pour sa deuxième édition, le festival Témoins d’Ailleurs donne voix aux questionnements sur l’histoire et la mémoire de metteurs en scène venus d’horizons variés. Parmi eux, Amir Reza Koohestani, un Iranien de 30 ans. Entretien.
Comment est née Amid the clouds, pièce montrant un homme et une femme émigrant d’Iran vers l’Europe, échouant dans le camp de Sangatte ?
Ce travail a débuté en 2004, en Iran. J’avais dans l’idée de créer une pièce sur les émigrants car, à cette époque, une de mes amies venait de partir vers l’Angleterre. Cette démarche m’intriguait. Lorsqu’on m’a proposé une résidence d’écriture au Royal Court Theatre de Londres, j’ai saisi l’occasion. Tout a commencé par l’interview d’un ami et de l’ami d’un ami qui avaient traversé l’Europe de l’Est comme ils pouvaient. Ils étaient passés par Sangatte avant de réussir à rejoindre l’Angleterre. Je les ai longuement questionnés pour connaître tous les détails de ce périple. À partir de ce matériau, j’ai développé Amid the clouds. Je ne voulais pas faire une pièce réaliste, proche d’un documentaire, m’interrogeant plutôt sur l’origine de ces gens. D’où viennent-ils culturellement ? Où vont-ils ? Le cheminement intérieur des personnages m’intéressait. J’ai imaginé un parallèle avec la longue tradition des peuples nomades d’Iran. Le voyage qu’entreprennent les émigrants est pour moi une nouvelle forme de nomadisme.
Vous nous présentez ce voyage, sa violence et l’espoir qu’il contient tout en nous montrant le for intérieur des deux protagonistes…
Amid the clouds, un voyage au cœur de deux êtres, se compose de monologues où les personnages se racontent. Il n’y a que peu de scènes où ils dialoguent. Ils parlent d’eux-mêmes au public, en face à face, exprimant ce qu’ils ressentent, et mélangent les étapes (Slovénie, Bosnie, Italie… jusqu’à Sangatte) avec un regard spirituel, presque surréaliste, sur leur vie.
Parlez-nous de votre décor épuré à base de cubes remplis d’eau…
Au départ, je souhaitais utiliser un seul grand aquarium. Rapidement, j’ai souhaité en avoir un par personnage afin que chacun symbolise l’endroit d’où ils viennent, où ils sont nés. L’eau est l’élément principal de ma mise en scène. Elle représente la nature qui enfante métaphoriquement l’un d’entre eux, mais aussi celle qu’ils traversent dans leur voyage. Ma mise en scène fait aussi de nombreuses références aux traditions iraniennes.
Souffrez-vous des a priori européens sur l’Iran, de la propagande à l’œuvre en Europe ?
Je n’ai quitté l’Iran que l’an passé pour venir étudier le théâtre et la mise en scène à Manchester. Avant cela, je ne comprenais pas les questions de mes amis à l’étranger sur ma vie, ma liberté, le poids du régime… Quand je suis venu à mon tour en Europe, j’ai vu la manipulation médiatique et compris pourquoi les gens ont cette image de l’Iran dont on ne met en avant que les mauvais aspects.
Comment cette pièce a-t-elle été perçue par le public iranien ? L’accueil était-il différent en Europe ?
Après notre première longue tournée dans sept ou huit pays d’Europe, nous l’avons jouée à Téhéran où la pièce a été très bien reçue. C’est forcément différent car les références culturelles ne sont pas les mêmes. Quand j’évoque les nomades iraniens, le public européen n’a pas la moindre idée de ce dont je parle. Ici, les gens trouvent les costumes magnifiques avec leurs couleurs éclatantes. Ils ne savent pas que ce sont les costumes traditionnels des nomades.
Comment la culture iranienne évolue-t-elle ?
En Iran, le théâtre commercial n’existe pas. On ne réfléchit pas en termes de box-office car le public est large et très intéressé. Il faut savoir qu’une ville comme Téhéran n’a qu’une dizaine de théâtres pour 10 millions d’habitants. C’est très peu. Du coup, les salles sont toujours combles. La presse et les critiques ont aussi moins de pouvoir.
Les conventions scéniques imposées par le gouvernement interdisent aux partenaires de sexe opposé de se toucher, mais aussi aux actrices d’apparaître sans voile sur les cheveux. Comment composez-vous avec ces interdictions ?
Cela fait partie de nos règles, des contraintes générales du théâtre. Mais le théâtre anglais a d’autres règles implicites, d’autres contraintes qui font que je ne m’y sens pas forcément plus libre dans mes mises en scène. Certes, un acteur et une actrice ne peuvent pas se toucher en Iran, mais le public est tout à fait conscient de ces règles, il est plus habitué que le public européen à décrypter les mises en scène intégrant ces interdits. Par exemple, dans la dernière scène d’Amid the clouds, l’homme et la femme dorment ensemble et sont supposés faire l’amour sur scène. Ils ne se touchent pas, ainsi nous ne franchissons pas la ligne des interdits. Mais le public comprend tout à fait ce qui se passe. Les Européens ne partagent pas ces codes et passent forcément en partie à côté.
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