New Kids on the Block
Premières, co-organisé traditionnellement par le TNS et Le Maillon à Strasbourg, entre dans une nouvelle ère de coopération transfrontalière. La huitième édition de ce festival dédié aux jeunes metteurs en scène européens se tiendra à Karlsruhe, en partenariat avec le Badisches Staatstheater.
Face aux restrictions budgétaires auxquelles sont confrontés Le Maillon et le Théâtre national de Strasbourg, « la menace de bi-annualisation définitive de Premières pesait comme un couperet », rappelle Julie Brochen, directrice du TNS. L’intérêt du Badisches Staatstheater est tombé à point nommé, permettant de mutualiser les moyens de production du festival mais aussi « de creuser un peu plus les différences d’enseignement de la mise en scène de part et d’autre du Rhin », assure Bernard Fleury, directeur du Maillon. Karlsruhe et Strasbourg accueilleront donc, une année sur l’autre, faisant voyager leurs publics dans chacune des villes.
10 pièces, 8 pays, 7 langues
Fidèle au poste, la responsable artistique de la programmation, Barbara Engelhardt, a sélectionné des pièces qui sont « autant de critiques de leur époque dans un contexte de crise et de floraison de politiques de repli nationaliste souvent dangereuses, notamment autour de la notion d’étranger, en Turquie, en Grèce, en Slovénie ou en Hongrie ». Et de poursuivre : « Je me suis attachée à montrer des jeunes metteurs en scène actuels s’emparant des moyens du théâtre pour se positionner et témoigner de l’état du monde. » 20 représentations, 10 pièces de 8 pays (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Turquie, Belgique, Suisse et Pays-Bas) en 7 langues originales (intégralement surtitrées en allemand et en français) offrent un florilège de créations européennes dont la « diversité des formes est conditionnée par les traditions théâtrales de chaque pays. »
A change is gonna come
Symbole de cette confrontation à l’histoire, le hongrois Csaba Polgár qui s’empare avec pas moins de 16 comédiens d’un grand texte de Tankred Dorst, Merlin, oder Gott, Heimat, Familie (Merlin ou Dieu, Patrie, Famille). Parue en 1985 et interprétée comme une critique de la RDA, cette pièce montre le délitement des idéaux de justice sociale d’un roi Arthur impuissant autour de sa Table Ronde réunissant toutes les composantes de la société, confronté à la fin des utopies. Pour sa troisième mise en scène, Polgár mélange les genres : morceaux d’armures et épées de chevaliers, roulottes et croix lumineuses dans une interrogation des dérives actuelles hongroises en proie à une montée des extrémismes et aux divisions.
À l’opposé de ce grand ensemble, le jeune collectif Studio 4, venu de Turquie, présente un collage fait d’histoires composées de bribes de souvenirs personnels des cinq performeurs. Olmamis Mi ? Isn’t it ? dévoile ainsi les contours des changements ayant agité leur pays durant les années 1990 et la mosaïque de conséquences contradictoires sur toute une génération évoluant entre traditions, religion, modernité et identité.
Long is the road
Premières est aussi une histoire de brassage. Anestis Azas, Grec ayant étudié en Allemagne avant de revenir dans son pays et Prodomos Tsinikoris, qui a grandi et étudié en Allemagne avant de travailler à Athènes, sont bien placés pour s’attaquer à la question de l’exode et du retour au pays. Telemachos – Should I stay or should I go? est à mi-chemin entre le théâtre documentaire et biographique, proche de la posture artistique du collectif Rimini Protokoll. Face à la crise sans précédent ayant plongé la Grèce dans le chaos, des gens ordinaires (restaurateur, chanteur…) questionnent le sens d’un retour, les raisons de la migration et les troubles identitaires que ces situations provoquent en eux.
Étranges étrangers écrivait Prévert, ode à la richesse du brassage culturel tout autant que dénonciation du colonialisme. Avec Blickakte, le metteur en scène allemand Daniel Schauf organise une expérience pour une chanteuse lyrique taïwanaise autour de la notion d’identité culturelle. À travers de simples situations, se dévoile le fossé de différences de conceptions de l’art, de la patrie et de l’autre en fonction de ses origines géographico-sociales. L’Europe est ainsi analysée par cette chanteuse asiatique de l’intérieur et de l’extérieur, offrant un double regard : ce qui apparait comme étrange et ce qui est totalement étranger… à soi !
Real eyes, realize, real lies
Autre petite forme, très participative pour le public, La Loi d’interaction des points isolés dans un champ de rencontre défini – ou l’histoire de la girafe qui fait (trop) peur. Une performance de la danseuse Katy Hernan et du comédien Adrien Rupp. Ces deux Suisses interrogent avec ironie les mécanismes de la communication dans ses aspects physiques mais aussi psychologiques. Un vent de fraicheur peuplé de surprises dans un monde où chacun semble avoir quelque chose à dire.
L’ovni scénique du festival sera sans conteste Die Versenkung des Atom-U-Boots Kurks, durch den feigling Steven Jobs (Le Nauffrage du sous-marin atomique Kurks par le lâche Steven Jobs) du prometteur Timo Krstin. Ce jeune allemand nous embarque dans une histoire de complot médiatique secret autour de sous-marins nucléaires enfouis dans le lac Baïkal, de donneurs d’organes involontaires, de faillite grecque organisant la domination du capitalisme sur le monde. Un brassage fou, aux multiples niveaux de lecture et de récit, sur l’authenticité, le storytelling, les théories de la conspiration et le brassage des cultures. Et si tout était vrai ?
+49 721 933 333 – www.staatstheater.karlsruhe.de
03 88 27 61 81 – www.maillon.eu
03 88 24 88 24 – www.tns.fr