L’armée des sombres

Avec l’installation chorégraphique Corpus Sanum, la compagnie marseillaise La Méta-Carpe transforme la petite salle du TJP en sanatorium. Michaël Cros évoque ses étranges pensionnaires.

De spectacle en spectacle, nous croisons des « humains organiques ou synthétiques, des corps chauds ou froids » ainsi qu’un « peuple étrange ». L’univers de Michaël Cros est traversé de créatures sans visage, entièrement couvertes d’une combinaison noire moulante, à la manière du personnage séquestré dans La Piel que habito d’Almodóvar. Les “corps sombres” hantent le travail du chorégraphe et plasticien depuis 2007, au moment de Solo sombre où il était dans cette tenue intégrale, accompagné d’une marionnette, enfermé dans une cage. Les bases de son travail sont posées. Qui est vivant, qui est objet ? Qui manipule, qui est manipulé ? « Qu’est-ce qui est humain et qu’est-ce qui est monstrueux ? J’avais envie de continuer à questionner la frontière de l’humanité. » Il monte alors Zoo “Chaleurhumaine”, revisitant les zoos humains de la fin du XIXe, et La Famille Sombre, reprenant les codes des freak-shows lors desquels des êtres victimes de malformations, des “monstres de foire”, étaient exhibés. « Je suis intéressé par l’inquiétante étrangeté présente chez les “corps sombres”. À la fois familiers et inquiétants, ils permettent la confusion entre le vivant et l’objet, ils perturbent la perception. Ces deviennent anonymes, ils sont alors très expressifs, graphiques. Le spectateur va les scruter différemment. »

Cette communauté obscure dérive… Avec Corpus Sanum, les individus ambigus et cauchemardesques de Michaël Cros « sortent de la cage », transposés dans l’univers du soin, s’inspirant de La Montagne magique de Thomas Mann qui décrit un sanatorium, un établissement médical hors du temps et du monde, « point de rencontre entre l’hôpital et le grand hôtel », entre les tuberculeux et les mondanités…  Au cours d’une déambulation d’une heure et demie, le spectateur est convié à faire un certain nombre d’expériences de plus en plus longues. Il parcourt le laboratoire, le solarium et les chambres, croise le personnel soignant ou les pensionnaires en mouvement. Ici, les “corps sombres” sont autant d’émanations du passé, des souvenirs du centre de traitements dont la visite se termine par « une expérience festive et collective dans le grand salon : un thé dansant ».

Corpus Sanum se nourrit de l’histoire du lieu d’accueil. Cet « objet artistique ouvert » vient s’ancrer dans la région grâce à une base documentaire constituée de témoignages effectués à l’ancien sanatorium de Schirmeck ou exhumés à l’Hôpital universitaire de Strasbourg…

À Strasbourg, au TJP, du 6 au 14 avril (installation Corpus Sanum ouverte au public du 8 au 12 avril)

03 88 35 70 10 – www.tjp-strasbourg.com

Exposition de BB végétaux, “acteurs” de Corpus Sanum, dans les serres du Jardin botanique de Strasbourg

http://jardin-botanique.unistra.fr

www.lametacarpe.com

 

vous pourriez aussi aimer