La mariée était en noir
Figure phare de l’art contemporain, Annette Messager fait s’échouer le visiteur sur ses Continents noirs au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg. Visite guidée d’un monde ressemblant au Pompei d’après l’éruption volcanique, véritable condensé de l’œuvre de la plasticienne.
À quelques jours du vernissage, Annette Messager erre tel un fantôme parmi ses « spectres », des pantins désarticulés, créatures pendouillantes faites de tissu rembourré, de simples sachets en plastique ou de vêtements qui portent la mémoire de leurs propriétaires, composant l’installation Motion-Émotion. Ces êtres hétéroclites qui « se retrouvent et se cognent joyeusement » ne sont que des dépouilles s’agitant au gré du souffle des gros ventilateurs posés à même le sol. « Le dispositif n’est pas caché, je veux tout montrer » indique l’artiste décrivant « une pièce animée par un mouvement qui rend les personnages grotesques, comme pris dans une danse macabre ». Que cherchent à nous dire les protagonistes démantibulés et très arte povera de ce ballet funèbre ? « Avant de réaliser mes œuvres, je me raconte beaucoup d’histoires… puis je les oublie et c’est aux autres de faire leur propre récit », nous lance Messager. « On peut tout dire sur mon travail, même avoir des interprétations psychanalytiques, ça ne me dérange pas. Je veux que cela soit ouvert, que les gens fassent leur chemin », poursuit-elle en dénouant avec agacement les cheveux emmêlés de l’une de ses marionnettes cheap, suspendue par des fils. Annette a toujours ce besoin de toucher, de sentir, de palper.
Je pense donc je suce
La plasticienne, Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2005, sanctifiée en 2007 au Centre Pompidou qui lui offri une magnifique rétrospective, débute sa production dans les années 1970. Influencée par le surréalisme, elle expose ses collections de photos ou de coupures de presse qu’elle annote, commente. Elle crée aussi ses célèbres Pensionnaires, de petits oiseaux naturalisés et habillés de pulls miniatures faits main, comme si un enfant avait voulu protéger ces volatiles morts en les emmaillotant dans des habits de poupées. Annette Messager utilise beaucoup la broderie ou le tricot – pratiques prétendument féminines – pour parler de la condition des femmes artistes. Des femmes tout court. Elle confectionne une série de mouchoirs en coton où sont joliment brodés des proverbes misogynes tels que “Je pense donc je suce” ou “La femme est la créature la plus subtile du règne animal”. La plasticienne réalise des êtres hybrides et enfante des chimères. Elle crée des photomontages montrant des corps morcelés, des objets pendus, des patchworks (sa Carte de France composée de morceaux de peluches) ou polichinelles bricolés à l’aide de bribes d’étoffes et de (mara)bouts de ficelles. Annette Messager fait cohabiter l’enfance et la mort en des pièces ou, plus récemment, installations faussement naïves et réellement inquiétantes.
Cent légendes
Le MAMCS a choisi de présenter des œuvres crées depuis 2010. Continents noirs (« Le titre vient de Freud qui a dit que le sexe de la femme en est ») prend la forme d’un parcours. Le visiteur croise un effrayant pantin de ventriloque accroché au dos de sa mère – une danseuse qui semble échappée de l’atelier de Degas (lire page 74) –, un animal que l’on dissèque, des peluches écartelées sur un mur. Il y a aussi Just married, balai recouvert d’un voile de mariée, signifiant en substance « T’es mariée, maintenant tu vas te mettre au boulot ! » et faisant un clin d’œil au début des années 1970 où on demandait à Annette Messager « si une femme pouvait être créatrice. C’était le Moyen-Âge ! » Nombre d’objets exposés sont comme carbonisés, recouverts d’une matière noire, « sorte d’aluminium mat » qui donne un aspect fossilisé aux choses. Ainsi, son installation Sans légende – doit-on lire Cent légendes ? – nous place dans à un univers post-Fukushima, un monde d’après l’apocalypse. Gisent, pêle-mêle, des oiseaux qui semblent mazoutés, des jouets abandonnés, des bouts de Pinocchio noircis, des sculptures émaciées façon Giacometti (« l’archétype de l’artiste »), des chapeaux de sorcière (« Parce que je suis une femme artiste, on m’a toujours considéré comme une sorcière »), des formes d’architecture prises dans la lave, comme à Pompei… Les restes de notre civilisation ? Une archéologie d’Annette Messager rassemblant des éléments qui jalonnent son œuvre. Même si des globes lumineux se gonflent, créant une apaisante respiration, on retiendra surtout la noirceur de l’ensemble, cimetière de gris-gris et d’ex-voto. Annette Messager veut-elle conjurer le mauvais sort, éloigner le mauvais œil, faire la nique à la mort ? « Tout mon travail lutte contre le temps qui passe, la mort qui se rapproche », affirme-t-elle tandis que tournent, inéluctablement, les aiguilles d’une grande horloge projetée dans la salle, à même son visage.
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