Horla loi
Livre après livre, Vanoli, auteur de BD nancéien, décrit les errances de personnages fantomatiques déclassés et « socialement décalés », naissant d’une matière charbonneuse. Entretien avec un adepte de la ligne pas très claire, fasciné par Maupassant et ses récits fantastiques.
Vous considérez-vous comme un voyageur égaré, à l’image de vos “héros” ?
Je suis avant tout un égaré… Obligé de devenir voyageur afin de trouver ma voie. La BD m’aide à mener ma vie : depuis petit, c’est une pratique qui me permet de m’ancrer en moi-même.
Vous dessiniez dans la marge de vos cahiers à l’école ?
Non, j’étais un élève très consciencieux. En fait, j’étais surtout fasciné par le dessin imprimé, la magie de voir des dessins qui se suivent dans un livre. Alors, je scotchais des pages pour les relier afin de découvrir les images au fur et à mesure de la lecture. Je n’aurais jamais pu devenir peintre…
Pourtant, on sent que vous prenez un réel plaisir à réaliser de grandes planches contemplatives…
Oui, mais elles m’intéressent car elles se trouvent parmi d’autres pages et rythment le récit en illustrant des moments de mélancolie ou de doute. Pour Rocco et la Toison, elles me semblaient nécessaires, mais j’aime également les grands récits sans ce type de respiration. Tardi dit qu’il ne faut jamais faire de dessin sans texte dans une BD car le lecteur risque de lâcher prise. D’ailleurs, le livre sur lequel je travaille actuellement sera “fleuve”, car l’histoire ne permet pas de phases méditatives.
Vous produisez énormément : c’est une nécessité ?
Je n’en vis pas, étant enseignant, mais j’aime l’idée de construire “un œuvre”, un mur dont chaque brique serait un bouquin. Mes influences viennent plutôt du cinéma ou de la musique : c’est sur toute une carrière que les créations d’Hitchcock ou de Lou Reed prennent sens. Dans la BD, c’est moins le cas… Ça serait présomptueux de dire que j’aimerais remplir ce vide, mais c’est vrai je travaille sur la longueur.
Vous avez une place à part dans la BD ?
Sans doute, car mon style est sombre, pictural, expressionniste et il n’y a pas d’école de dessinateurs de ce type…
Dans L’Attelage, un des protagonistes dit : « À cet instant, la confusion s’empare de moi : je ne savais plus si j’étais un être réel ou un songe. » Tous vos personnages sont ainsi, entre rêve et réalité, la mort et la vie, comme des fantômes…
Ils ont du mal à se frayer un chemin dans l’existence. Ce sont des anti-héros, sans cesse sur la route car ils se cherchent ! Je n’ai jamais de scénario préétabli : je commence à travailler sans savoir où l’histoire va me mener. J’écris un texte, soigneusement, comme une nouvelle, mais il vole en éclats à un moment, laissant sa place aux dessins.
Dans Max et Charly, vous traitez d’un mal contemporain – le chômage – mais sous forme de fable. Jamais vous ne ressentez l’envie d’aborder un sujet frontalement ?
Dans L’Usine électrique, je parlais de la fermeture de la centrale hydroélectrique du Lac noir dans les Vosges qui m’a marquée. Je traitais déjà du sujet d’une manière fantastique, sans coller à la réalité de manière documentaire. Max et Charly sont deux gars qui ont perdu leur boulot et qui errent dans un no man’s land. Ils s’y enfoncent et le lecteur perd pied car l’imaginaire prend le dessus. Je suis incapable de décrire la société comme les frères Dardenne le font. Et puis mes fins sont souvent brusques, laissant une impression d’angoisse. C’est désagréable tous ces fils dénoués, mais j’assume !
Dans vos BD, on croise régulièrement un être au visage / masque à la Munch. Qui est ce spectre qui rôde et hante vos ouvrages ?
Un cri d’horreur, de folie, exprimant la colère ! Dans Rocco, c’est le symbole de la peste qui caresse le personnage.
Votre système narratif est complexe, avec des mises en abîme arrivant à leur paroxysme lorsque vous vous représentez dans Rocco et la Toison…
Vous avez bien remarqué que mes dessins sont tarabiscotés ! Tout est baroque chez moi, c’est un tout. En ça, je suis très inspiré par les histoires fantastiques de Maupassant, comme Le Horla, les récits picaresques ou les 1001 Nuits. Pour Rocco, je me suis incorporé au récit afin d’introduire d’autres niveaux de lecture et rendre hommage aux peintres qui se représentaient dans leurs toiles.
De qui vous sentez-vous proche ?
J’aime beaucoup les personnages de Richard Brautigan : des mecs hyper lucides qui s’arrêtent sur un détail et le rendent délirant par un trait de poésie. Pour Objets trouvés, de manière instinctive et quasi-automatique, je fais le va-et-vient entre des choses autobiographiques – le souvenir d’une balade en forêt… – et des micro-reportages, des instants saisis de la vie de tous les jours. Je zoome sur ces éléments et les rends énormes, monstrueux, bizarres…
Si vous aviez la possibilité de faire intervenir Le Contrôleur de vérité*, quel mensonge tenteriez vous de débusquer ?
Ceux de mon gamin [rires]. Le Contrôleur de vérité, c’est un type qui se questionne constamment sur le langage, jusqu’à devenir fou. Aujourd’hui, je l’imagine bien devant un panneau de signalisation routière, genre rond-point ou sens interdit. Il reste là, sans voix, à se demander à quoi ça rime, complètement interloqué. Vous me donnez envie de remettre en route le personnage : il a du potentiel !
Portrait de Sarah Dinckel / Studio Vingt Septembre pour Poly
Autoportrait de Vincent Vanoli pour Poly
Objets trouvés, éditions de La PastèqueMax et Charly, Rocco et la Toison & Maudite !, éditions L’Association
À paraître en 2018 : La Femme d’argile, éditions 6 Pieds sous Terre
* Édité par L’Association en 1999