Fuck You Europa
Découverte au Festival Premières[1. La 8e édition du Festival de jeunes metteurs en scène européens se déroule à Karlsruhe, du 6 au 9 juin] en 2009, Sanja Mitrović revient à Strasbourg avec sa quatrième pièce, Crash Course Chit Chat. Cinq performeurs y interrogent de manière grinçante l’identité européenne et les différences entre les peuples.
La metteuse en scène serbe installée aux Pays-Bas avait illuminé Premières avec Will you ever be happy again ?[2. Voir Poly n°126], réflexion autour des traces de l’histoire allemande et serbe dans les trajectoires contemporaines où elle dressait un parallèle entre les mécanismes idéologiques hérités de Tito et ceux du capitalisme mondial et du sport spectacle. Un portrait sans complaisance de sa génération ayant subi la fin d’un régime fort et la guerre des Balkans. Dans Crash Course Chit Chat, c’est à la construction identitaire de l’Europe qu’elle s’attaque : une Allemande, une Française, un Anglais, un Belge et un Néerlandais sont réunis devant l’immense toile d’Anton von Werner représentant le Congrès de Berlin du 13 juillet 1878 qui voyait les grandes puissances (Russie, Grande-Bretagne, Autriche-Hongrie…) se partager les Balkans, préfigurant les grands conflits mondiaux du XXe siècle qui naîtront dans la région.
Débarquant avec des boites à souvenirs remplies d’éléments représentatifs de leur culture et de leur propre histoire, chacun défend ses grands auteurs (Proust, Shakespeare…) et ses icônes sur vinyles (Édith Piaf, Jacques Brel, The Beatles, Nina Hagen…). Ce qui apparait comme un joyeux déballage en cinq langues d’éléments de fierté nationale rayonnant à l’échelle européenne dérape rapidement vers un remake des heures les plus sombres du continent. S’appuyant sur près de deux mois d’improvisations et de jeux de mots, Sanja Mitrović provoque, brillamment et irrémédiablement, l’explosion de tous les préjugés malsains habituellement tus dans une libération de la parole et un lâcher prise des interprètes dont toutes les rancunes et frustrations se traduisent par un effroyable repli identitaire. Des blagues sur les Belges en passant par l’évocation grinçante des femmes rasées à la libération, la petite Europe des peuples réunie sur le plateau finit par pointer du doigt les boucs émissaires d’aujourd’hui, Grecs, Tziganes et homosexuels. Certains se voient même torturés physiquement pour la responsabilité de leurs ancêtres dans les conflits passés. Un huis clos où ce qui divise paraît irréconciliable, à moins qu’un prêche d’amour ne remette tout le monde d’accord…
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