Fashion victim
Pour son premier Mozart, le metteur en scène Ludovic Lagarde installe Le Nozze di Figaro dans l’univers de la mode, à l’Opéra national du Rhin. Entretien avec le directeur de la Comédie de Reims.
Jusqu’à aujourd’hui, vous aviez uniquement mis en scène des opéras baroques (de Lully, Charpentier ou Desmarets) et contemporains, avec un tropisme pour Wolfgang Mitterer1 : qu’est-ce qui vous a attiré pour cette première incursion en terres mozartiennes ?
Le Nozze di Figaro est une œuvre paradoxale, à la fois légère et extrêmement brutale : les rapports entre les sexes, entre les classes sociales sont d’une terrible violence. Et puis comment refuser le fleuron du duo Mozart / da Ponte ?
Comment vous en êtes-vous emparé ?
Derrière l’opéra il y a une immense pièce écrite quelques années plus tôt, en 1778 : le livret de Lorenzo da Ponte est extraordinaire, il va à l’essentiel, il est bien souvent plus “cash” que le texte de Beaumarchais. Je me suis posé la question de l’actualité de cette histoire à laquelle Mozart donne une dimension érotique supplémentaire, la faisant basculer du côté des passions. J’ai fait ce même travail sur L’Avare de Molière que j’ai monté il y a quelques années2.
Comment opérer cette mise en perspective avec le présent que vous souhaitez ?
Je me suis souvenu des expériences vécues au cours des défilés de haute couture de Christian Lacroix auxquels j’avais assisté après avoir travaillé avec celui qui avait réalisé les costumes de Roméo et Juliette de Pascal Dusapin pour ma mise en scène de 2008. L’ambivalence des sensations m’avait frappé, l’opposition presque frontale entre un environnement hyper violent – un monde impitoyable et ultra hiérarchisé fait de tensions, une musique très forte et des mannequins qui défilent comme des soldats sur le catwalk, mitraillés par les photographes – et des vêtements somptueux composés de matières délicates. Le contraste correspondait bien à l’œuvre de Mozart où, qui plus est, on se travestit et se déguise beaucoup.
Vos Nozze di Figaro sont ainsi installées dans l’univers de la mode…
Le comte Almaviva est un grand couturier tyrannique. Figaro est son secrétaire particulier, son âme damnée. Entre eux règne un rapport étrange, très ambivalent. C’est un moyen pour moi d’évacuer la caricature car, en effet, dans une œuvre écrite juste avant le grand basculement de la Révolution française, quel est le dernier privilège du comte ? Le droit de cuissage. Il est donc difficile de traiter ce personnage autrement que par le prisme du ridicule ou celui de la confrontation politique frontale entre les classes : placer l’action dans le monde très hiérarchisé de la mode permet d’explorer une autre voie.
À La Filature (Mulhouse) vendredi 10 et dimanche 12 novembre > Rencontre avec Ludovic Lagarde, le dramaturge Christian Longchamp et le chef d’orchestre Patrick Davin à la Librairie Kléber (Strasbourg), jeudi 19 octobre à 18h 1 Massacre à Musica (2008) et Marta à l’Opéra de Lille (2016) 2 Repris à la Comédie de Reims jeudi 24 et vendredi 25 mai 2018 et à l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) du 2 au 30 juin 2018