D’or et de crasse: Krystian Lupa à la Comédie de l’Est
Lauréat du Prix Europe pour le théâtre en 2009, le metteur en scène Krystian Lupa présente sa seconde version des Présidentes à la Comédie de l’Est.
Il est des hommes de théâtre dont l’immense talent fait de chacune de leurs représentations des immanquables. Avant sa venue au Maillon au mois de mai pour La Tentation de Véronique la tranquille, le Polonais Krystian Lupa nous donne rendez-vous à la Comédie de l’Est. Pas étonnant que l’auteur du Théâtre de la révélation – dans lequel il exposait sa conception de l’art de la scène comme instrument d’exploration et de transgression des frontières de l’individualité – ait été séduit en 1999 par Les Présidentes, premier texte publié par Werner Schwab neuf ans plus tôt.
Dans un subtil mélange de douce ironie, d’humour et de violence, cet auteur provocateur et sans pitié pour la société occidentale dresse une critique de l’hypocrisie bien-pensante au travers des discussions de trois amies réunies chez l’une d’elles. Marie, jeune ingénue ne jurant que par les Écritures, Erna qui économise jusqu’aux bouts de chandelles et se fait plus de souci pour la descendance que son fils échoue à lui donner que pour sa propre vie, et Grete, femme libérée et émancipée n’ayant que son chien pour la consoler d’une vie chaotique, ont en commun un manque total de regard sur soi. Dans leur misère affective, elles se raccrochent à ce qu’elle peuvent : leur foi, les discours du Président, la parole du Pape dont un extrait retransmis à la télé fait de l’avortement et de l’euthanasie des crimes terribles envers la dignité humaine… C’est le petit peuple, ses préjugés et sa vie misérable qui nous sont donnés à voir. Krystian Lupa transpose les laissés-pour-compte de l’Autriche opulente de l’enfance de Schwab, mort d’une overdose éthylique en 1993 (à 36 ans seulement), en Polonaises qui traversent ce début de siècle, subissant de plein fouet les dégâts d’un modèle de société ayant érigé la réussite et l’individualisme en valeurs reines.
Les bas-fonds de l’âme
« Les Présidentes […] est une pièce humaniste » estime Lupa. « J’ai trouvé en elle une vérité, des comportements humains, empreints de sensibilité, de douleur, de désir de bonheur. » Ce huis clos empli de paroles, l’homme du “théâtre d’art” l’avait déjà monté en 1999. Dix ans plus tard, il y revient, fuyant la mode actuelle du recours à l’utilisation des nouvelles technologies et au croisement des arts (vidéo, musique…). Pour lui le théâtre est un bien un art du texte et de son interprétation. Entre les lignes des Présidentes se dessine la critique d’un révisionnisme historique (« Pas un seul nazi en Pologne à part Hitler »), mais aussi de la religion, de l’absence de culture et d’une vision de l’art comme outil de propagande moralisatrice. Schwab réussit à embrasser et à manier tous ces sujets avec, pour seuls ressorts, les discussions et les rêves éveillés des trois femmes. Leurs propos hérissent, exaspèrent. Si l’on rit avec elles, on rit d’elles plus souvent encore. Bien entendu, lorsqu’en partageant leurs rêves, Marie, la plus jeune et la plus stupide, les mettra dans son extrême candeur face au miroir de leurs vies ternes et miteuses, le drame reprendra ses droits. La vérité est insupportable pour qui ne peut se raccrocher qu’à des croyances dénuées de raison.
À l’image de bien des textes dont s’est emparé Krystian Lupa (signés Robert Musil, Reiner Maria Rilke, Thomas Bernhardt ou encore Mikhaïl Boulgakov), celui-ci constitue une radiographie sans concession de l’âme humaine et de ses tourments. La recherche – désespérée – du bonheur personnel dans une vie tristement vide n’est pas qu’une histoire couchée sur papier. C’est surtout l’un des symptômes de la modernité et des tourments humains dont la foi ne constitue, définitivement, pas la clé.
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