Culture en Alsace, la panne ?
Dans son ouvrage, Robert Grossmann semble inventer un nouveau genre, le “western culturel” : au cœur de cette vaste épopée dans l’Est sauvage foisonnent en effet les duels épiques et autres règlements de comptes (avec Catherine Trautmann, Norbert Engel, Roland Ries…). Dans cette lecture personnelle et engagée de l’histoire culturelle de la région, on rencontre ainsi des bons (Pierre Pflimlin, Germain Muller, Robert Grossmann himself…), des brutes et des truands. Au fil des pages, le lecteur se demande parfois ce que peut encore offrir notre époque sans initiative face à l’esprit pionnier des grands découvreurs d’espaces et des bâtisseurs d’antan.
En Alsace, Robert Grossmann est l’un des derniers politiciens de la “vieille école” qu’on reconnaît à un art oratoire acéré, des formules ciselées avec soin et un amour revendiqué pour la disputatio, ce débat vigoureux et constructif. L’ancien président de la Commission culture du Conseil général puis de la Région et adjoint (toujours) à la culture de la Ville de Strasbourg revient en détail sur le dernier quart de siècle, magnifiant certains de ses prédécesseurs – le duo Pierre Pflimlin (puis Marcel Rudloff) / Germain Muller (Opéra national du Rhin, Musica, Le Maillon, TJP…) – et rappelant ses propres succès (Aubette, Médiathèque Malraux, Bibliothèques Idéales, Zénith…) en ne se privant pas de brocarder quelques personnalités. Jean Hurstel avec qui il était en conflit à La Laiterie ? Un « Saint-Georges d’extrême gauche terrassant un dragon préfabriqué ». Roger Siffer ? « Comme un frère qui aurait mal tourné » et qui, « trop vite, glissa vers la bouffonnerie » se laissant griser par les « appels du tiroir-caisse ». Devant notre surprise, à la lecture du long chapitre consacré à l’amuseur du Val de Villé, il pirouette avec répartie : « Mettons que celui qui écrit tout cela n’est pas l’homme politique sérieux et grave, mais le personnage qu’incarne Roger Siffer dans ses revues. » D’autres en prennent pour leur grade. Certains politiques, évidemment… L’autocritique ? Un doigt, pour la route, mais nous ne sommes tout de même pas aux Procès de Moscou. L’échec de la campagne “Strasbourg Capitale européenne de la culture 2013” ? « Les dés étaient pipés. » Selon lui, le jury souhaitait, avant même le début de la compétition, que Marseille l’emporte.
Robert Grossmann dénonce avec finesse « le culte du passé » qui sert toujours dans notre région « de clé pour toutes les serrures ». Il appelle de ses vœux un « grand projet fédérateur ». Metz a Pompidou, Lens aura son Louvre en 2012… Et l’Alsace ? Il énonce l’idée de revisiter l’Humanisme rhénan et d’explorer la « signification de ce qu’il pourrait être en ce début de XXIe siècle » après avoir préalablement dénoncé son usage à toute les sauces par de nombreux responsables n’en ayant pas lu la moindre ligne. Il lance ensuite son idée phare : la création d’une Commission Permanente de la Culture en Alsace (voir entretien). Voilà l’ancien Maire délégué converti aux vertus du participatif qui « n’a pas été inventé par Ségolène Royal ou Roland Ries mais remonte au Général de Gaulle » nous explique-t-il. Les ondes émanant de la place de l’Étoile semblent décidément puissantes. Mais est-ce si surprenant pour un homme qui se déclarait, il y a quelques années « culturellement de gauche » ?
Rencontre avec Robert Grossmann, à Strasbourg, à La Librairie Kléber, samedi 15 octobre à 17h
www.verger-editeur.fr
03 88 15 78 88