Circo-Thérapie
En cette fin de saison, La Filature invite la compagnie québécoise de cirque contemporain Les 7 doigts de la main à présenter sa quatrième création : Psy. Ils y sondent, entre humour et acrobaties, l’âme humaine, ses névroses et maladies mentales.
Pluridisciplinarité et sujets inhabituels, voici les deux caractéristiques des spectacles de la compagnie fondée en 2002. Que ce soit dans un loft d’artiste (Loft, 2002), un bunker (Traces, 2006) ou au Purgatoire (La Vie, 2007), ces circassiens installés à Montréal se plaisent à « restituer le cirque dans la vie », assure Sébastien Soldevila, l’un des 7 doigts. L’idée « un peu folle » de « lier l’étrangeté de nos pratiques artistiques avec les troubles et maladies mentales est abordée, comme dans La Vie où nous parlions de la mort, comme un hymne à la vie plus que par la gravité ». Pour la première fois, la compagnie “s’efface” en recrutant onze artistes pour le spectacle, neuf issus de l’École nationale de Cirque de Montréal et deux du Centre national des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. Les workshops et improvisations de début de création sont autant d’occasions de pousser les heureux élus dans leurs retranchements, de faire ressortir phobies personnelles, vécues ou imaginées.
Thérapie de groupe
Aux troubles (insomnie, amnésie, paranoïa, hypochondrie, maniaco-dépression…) correspondent des disciplines (jonglerie, mâts chinois, roue allemande, corde aérienne, planche sautoir…) dont les associations résultent d’une dose de trouvaille, une autre de jugeote et une dernière de chance. « Notre agoraphobe est seule sur son trapèze et la jonglerie de groupe sert de thérapie collective. Des surprises sont apparues comme notre amnésique jonglant seul dans un parc lors de flashbacks touchants au cours desquels il n’arrive pas à remettre les personnes et événements à leur place », confie Sébastien. Le voyage auquel nous assistons dans diverses pathologies, en une succession de tableaux, mêle arts du cirque, danse contemporaine, théâtre et show global sur fond de bande musicale alternant rythmes entraînants et chansons mélancoliques. Ce cirque fou à plus d’un titre multiplie les niveaux de lecture grâce à des jeux sur les rapports du groupe à l’individu, de patients à leurs psys. Plus que de simples troubles obsessionnels compulsifs, Psy invite à une joyeuse réflexion sur les changements de perception des désordres mentaux plus ou moins quotidiens. Que les personnages se jettent dans le vide à plus de trois mètres de hauteur à la poursuite d’une confiance les fuyant, qu’un autre cherche son identité parmi une foule de visages masqués en équilibre ou que l’un d’eux regarde, l’œil humide, un nounours partant dans les cintres, c’est bien dans la tête de chacun que nous pénétrons pendant près de deux heures.
L’art d’en rire
Tout est question d’équilibre pour ne pas basculer dans la simpliste parodie. Sur le plateau, une maison de trois étages devient tour à tour un appartement, un salon de thérapeute, un bar ou un parc public grâce à des vidéos projetées sur des espaces clos ou ouverts afin d’entrer dans les univers de chacun des personnages. Autant de voyages dans le cerveau d’artistes dont les obsessions et les pathologies sont, il faut bien le reconnaître, nôtres. À l’image du cirque mortel de La Vie dans lequel un maître de cérémonie juge les âmes des spectateurs à grand renfort d’humour noir [1. La Vie sera à découvrir du 25 octobre au 20 novembre 2011 à La Villette à Paris], Les 7 doigts de la main prennent le parti de rire de nos névroses, de démontrer par leur génie acrobatique la beauté qui peut naître du dépassement de soi. Il est rare de voir ce type de “matière” explorée dans les arts du cirque, fut-il contemporain. La compagnie ne s’est pas contentée d’une juxtaposition de numéros mais bien d’une création collective de séquences épatantes à souhait, qui semblent avoir été faites pour ce type de sujets. Complexité des mouvements, ivresse de l’équilibre et des rotations, répétition maladive de jets d’objets, recherche de la perfection ne sont, à bien y regarder, pas si éloignés de troubles ordinaires. Mieux, ils contiennent, intrinsèquement et merveilleusement, la matérialisation des maux de l’esprit se répercutant dans le corps.
2011-2012, quel cirque ?
Sur la lancée des 7 doigts de la main, la prochaine saison de La Filature sera rythmée par les venues du Raoul de James Thiérrée (19 au 21 octobre), petit fils de Charlie Chaplin, la création 2012 des intenables et surprenants Zimmermann & de Perrot intitulée Hans was Heiri (littéralement “Jean comme Henri” dans le sens de “bonnet blanc, blanc bonnet”) et surtout les suédois de Cirkus Cirkör avec leur cirque monté à la sauce trash et rock’n’roll. Alléchant !